Thon, pêche côtière, bêche-de-mer et développement de l’aquaculture dans le Pacifique occidental et central : défis actuels et besoins futurs
Colin Shelley, Institut des ressources marines, Université du Pacifique Sud, Îles Fidji.
Introduction
Cet article dresse un bilan personnel de l’état actuel du thon, de la pêche côtière, de la bêche-de-mer (BDM) et de l’aquaculture dans le Pacifique occidental et central. Il met en exergue les problèmes liés à la gestion durable des ressources à un niveau à la fois scientifique et politique. Des recommandations sont faites concernant la création d’un centre de recherche sur la pêche / le thon, une gestion plus efficace de la pêche côtière et une meilleure planification au service du développement de l’aquaculture.
Thon
Que ce soit d’un point de vue commercial ou financier, la pêche au thon constitue la pêche prédominante dans le Pacifique occidental et central. Avec une production de 2 621 511 tonnes de thon estimée à 6,2 milliards de dollars US en 2013 (Williams et Terawasi, 2014), cette industrie est chapeautée par plusieurs organisations régionales, dont l’Agence des pêches du Forum (FFA), le Secrétariat général de la Communauté du Pacifique (CPS) et la Commission des pêches pour le Pacifique occidental et central. À l’heure actuelle, les activités telles que le suivi, le contrôle et la surveillance (SCS), y compris la formation des observateurs, sont gérées par des organisations régionales, les états insulaires individuels et les bailleurs de fonds.
Par ailleurs, des organisations telles que les Parties à l’Accord de Nauru (PAN) s’efforcent de veiller à ce que les pays de cette région augmentent leur part d’avantages socio-économiques. Si d’importantes ressources sont investies dans cette industrie, elles restent bien inférieures à celles allouées aux autres grandes pêcheries du monde. La pêche au thon dans le Pacifique occidental et central pourrait être régie sur la base d’un système de recouvrement du coût total.
Si des organisations telles que la FFA et la CPS assurent respectivement la gestion courante et le suivi à long terme des stocks de thon, il n’existe aucun centre intégré spécialisé dans la science, la politique, l’enseignement et la formation. D’autres études, portant notamment sur l’impact du thon sur des espèces telles que les requins, s’avèrent nécessaires. Face à la demande croissante et aux difficultés que rencontre la pêche durable, il convient de chercher d’autres méthodes d’approvisionnement en espèces de thon. L’aquaculture du thon (Metian et al., 2014) est pratiquée dans la Méditerranée, en Australie, au Japon, en République de Corée et en Indonésie sur diverses espèces, à différents stades de développement. Le Pacifique occidental, qui abrite la majorité des ressources mondiales de thon, devrait envisager de collaborer avec ces pays pour veiller à ce que la région bénéficie des connaissances acquises et puisse y contribuer.
Les changements de gestion sont bien trop lents pour répondre aux baisses considérables des populations de la plupart des espèces de thon les plus prisées, parmi lesquelles le thon rouge (Farley et al., 2014) et le thon obèse (Sibert et al., 2012). Un communiqué de presse de la CPS (2014) a déclaré que « le thon obèse, pilier de la pêche à la palangre tropicale, représente désormais moins de 20 % du stock non pêché. » Et ce, en dépit des preuves scientifiques qui pourraient orienter la politique vers une amélioration de la gestion des stocks. La création d’un centre spécialisé dans les thonidés pourrait contribuer à développer les talents locaux et aider les petits États insulaires en développement (PEID) du Pacifique occidental et central à mieux comprendre et gérer leurs propres ressources de thon. Un concept de nouveau centre des pêches est en cours de développement à l’Université du Pacifique Sud. Ce centre mettrait l’accent à la fois sur le renforcement des capacités de la pêche thonière et de la pêche côtière, sur la R&D et sur une meilleure gestion des ressources. Il pourrait accroître les capacités scientifiques et régionales pour mieux soutenir cette industrie clé.
Pêche côtière et bêche-de-mer
La gestion de la pêche côtière revêt une importance particulière en termes de moyens de subsistance et de sécurité alimentaire. Pourtant, ces pêches récifales multi-espèces sont peu connues ; on ne dispose que de peu de données sur ce sujet et leur gestion n’en est qu’à ses balbutiements. Si des progrès ont été réalisés dans certains pays comme les îles Fidji, grâce au développement et à la gestion d’aires marines gérées localement (AMGL) sur une base communautaire, de vives inquiétudes subsistent concernant la surpêche, la réduction des captures, la taille moyenne des poissons capturés et d’autres paramètres clés. Les organismes gouvernementaux responsables des pêcheries disposent de ressources très limitées et les demandes du secteur thonier ne laissent généralement pas grand-chose pour la gestion des pêches côtières. Un atelier régional qui a eu lieu en 2014 aux Fidji a préconisé les actions suivantes (extrait du document d’appel à l’action, réunion sur la bêche-de-mer et l’avenir de la pêche côtière en Océanie, Nadi, Îles Fidji, 6–8 août 2014):
- que les états insulaires du Pacifique prennent la direction politique et adoptent des mesures urgentes pour mettre en œuvre des régimes plus solides de gestion des pêches côtières au niveau national et sous-national, en veillant à ce que des politiques efficaces, pratiques et obligatoires soient mises en place et appliquées, en ciblant les capacités essentielles au niveau national et sous-national, en examinant les engagements budgétaires et en renforçant la coordination entre les partenaires d’exécution.
- Examiner et harmoniser le cadre régional des pêches côtières, y compris le rôle des institutions, agences et ONG régionales et internationales actuelles, afin de promouvoir la collaboration et l’intégration et de veiller à ce que les pays bénéficient d’un soutien solide, coordonné et efficace concernant la gestion des pêches côtières.
La bêche-de-mer (BDM), ou concombre de mer tropical transformé, fait l’objet d’une forte demande sur tous les marchés chinois (Purcell, 2014). La pêche de BDM se caractérise par de grosses prises, souvent suivies par des années de très faibles rendements, le temps que les stocks se reconstituent. Il s’agit de la deuxième ressource de pêche la plus lucrative après le thon, qui dans les pays mélanésiens, atteint la valeur de 20 millions de dollars par an (Carlton et al., 2013). Invertébrés d’eau peu profonde, les BDM sont aisément récoltées à la main, en pratiquant la plongée en apnée, la plongée en scaphandre ou d’autres méthodes de pêche simples. Pour de nombreuses communautés côtières, elles constituent une source de revenus très importante, bien qu’irrégulière. Actuellement, de nombreux pays dans le Pacifique occidental ont fermé leurs pêches pour permettre la reconstitution des stocks. Les espèces les plus lucratives se faisant plus rares, des espèces moins prisées ont été progressivement ciblées jusqu’à ce que, dans de nombreuses régions, les populations de ces espèces soient elles-aussi victimes de la surpêche.
On recense quelques exemples de pêches de BDM où les régimes de gestion ont abouti à une pêche durable à long terme. Toutefois, les options de gestion se limitent à la rotation des zones de pêche, à des fermetures (par période, zone, type de pêche et d’équipement), à des limites de taille et aux captures annuelles totales admissibles pouvant être utilisées (Purcell et al., 2014). Leur mise en œuvre dans les pêcheries pose de sérieux problèmes en termes de ressourcement, et la forte valeur des produits incite les pêcheurs ayant peu d’alternatives de revenus à enfreindre les règles, notamment lorsque des intermédiaires actifs cherchent à en acheter à des fins d’exportation. Des techniques d’aquaculture ont été développées pour quelques-unes des espèces les plus prisées. L’amélioration des stocks constitue donc une possibilité, de même que le pacage en mer, dans la mesure où des dispositions de gestion et des régimes d’application appropriés peuvent être mis en place. Il est proposé de créer un organisme régional chargé de coordonner la conservation, la gestion et les avantages économiques tirés des BDM.
L’atelier de 2014 aux Fidji a également appelé à une action immédiate en matière de gestion des BDM, dont :
- l’amélioration des structures et des procédés de partage d’informations et de données sur les acheteurs, les marchés et les bonnes pratiques à un niveau régional entre la CPS et les parties intéressées ;
- la recherche ciblée d’opportunités et des mécanismes de marché permettant d’accroître la valeur des BDM pour les pays des îles du Pacifique et d’autres régions afin d’améliorer les connaissances et la gestion des BDM ;
- une réunion spéciale début 2015 des gouvernements intéressés des îles du Pacifique, des organisations respectives du secteur privé et de la société civile pour faire progresser la gestion des BDM et rechercher des opportunités « d’initiative semblable à celle des Parties à l’Accord de Nauru » pour les BDM.
Développement de l’aquaculture
L’aquaculture dans le Pacifique comprend un secteur axé sur la sécurité alimentaire (Bell et al., 2009) – par exemple, le tilapia – et un autre axé sur la création de divers avantages socio-économiques issus de l’élevage de produits de plus grande valeur – comme les perles.
Le développement de l’aquaculture et de la mariculture dans la région a été extrêmement lent comparé à d’autres régions, en partie en raison du manque de planification nationale et de zonage aquacole approprié. Par exemple, la planification de l’aquaculture a précédé un fort développement de l’aquaculture dans de nombreux pays, dont la Norvège (Hovik et Stokke, 2007), le Chili et l’Australie (Carvalho et Clarke, 1998). Des plans bien préparés peuvent contribuer à la croissance de l’aquaculture en tant que composante majeure d’un régime de gestion intégrée des zones côtières, dans lequel les questions foncières sont clarifiées et les communautés sont pleinement consultées et impliquées. À quelques exceptions près, cela n’a pas été le cas dans la région.
La plupart du temps, le développement de l’aquaculture dans la région a été induit par le gouvernement ou la R&D grâce au financement des bailleurs de fonds, opérant bien souvent sans plan de commercialisation. Le maillon manquant constitue la planification du développement de l’industrie et les incitations pour le secteur privé à investir dans l’aquaculture, dans un cadre politique et réglementaire qui soutient l’industrie.
La planification de l’aquaculture nécessite une certaine expertise dans les systèmes d’information géographique, la consultation de la communauté, l’élaboration de politiques, une évaluation environnementale (pour déterminer les zones appropriées pour les différents types d’aquaculture et leur gestion à long terme), un cadre politique pratique de l’aquaculture et une modélisation économique pour contribuer à déterminer la faisabilité et à maximiser la valeur de ce secteur pour chaque pays. Cette planification est indispensable à la fois pour l’aquaculture terrestre et maritime. La planification de l’aquaculture peut également englober des questions telles qu’une approche régionale de la biosécurité aquatique. Sans planification de l’aquaculture, l’industrie continuera à se développer lentement et de manière très ponctuelle.
L’Université du Pacifique Sud
L’Université du Pacifique Sud est l’une des rares universités régionales au monde, qui dispense une formation tertiaire pour 12 pays insulaires du Pacifique. Son campus principal se trouve à Suva, Fidji. Elle propose une formation professionnelle, universitaire et postuniversitaire en sciences marines ainsi que dans des domaines connexes. Comme indiqué dans son tout dernier plan stratégique, l’université aspire à devenir « l’une des plus grandes universités du monde spécialisée dans les ressources marines et océaniques du Pacifique » d’ici à 2018.
L’Université chapeaute de nombreux projets relatifs au thon, aux pêches côtières, à la bêche-de-mer et à l’aquaculture, dont les suivants :
- Création de valeur ajoutée et développement de la chaîne d’approvisionnement des produits de la pêche aux Fidji, à Samoa et à Tonga ;
- Diversification des industries des algues marines dans les pays insulaires du Pacifique ;
- Formation aux activités de pêche post-récolte dans le Pacifique : accent sur les femmes et les jeunes de la communauté ;
- Identification rapide des troncs de thon ;
- Suivi et compréhension des pratiques de pêche dans le district de Dawasamu des Fidji afin d’établir un plan de gestion durable basé sur l’écosystème ;
- Dynamique des métapopulations, socio-économie et science halieutique du germon (Thunnus alalunga), avec un accent particulier sur l’industrie thonière fidjienne.
Conclusion
La pêche thonière constitue une importante source de revenus dans le Pacifique occidental et central. Or, elle est actuellement en danger. L’amélioration de la gestion des pêches côtières, notamment de la BDM, est essentielle à la fois pour la sécurité alimentaire et la génération de revenus et il y a un réel besoin de trouver des ressources adéquates pour le développement futur de ces pêches si l’on veut assurer leur viabilité à long terme.
L’aquaculture doit encore démontrer son véritable potentiel dans la région et de nouvelles approches sont nécessaires pour poursuivre son développement efficace. Cela nécessitera une meilleure collaboration entre l’industrie, les exploitants, les organisations régionales, les gouvernements, les prestataires d’enseignement et de formation ainsi qu’un changement de paradigme, afin que le développement de l’aquaculture soit axé sur la demande et dirigé par le secteur privé. Pour les questions liées à la pêche au thon, à la pêche côtière et à l’aquaculture dans la région, la création d’un centre d’excellence régional pourrait permettre de renforcer les capacités locales et de participer à la R&D dans ce domaine, ce qui pourrait contribuer à une gestion et un développement plus efficaces des ressources aquatiques.
Références
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Commandé par : Le Centre technique de coopération agricole et rurale ACP-UE (CTA)
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