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Améliorer la nutrition grâce à l’agriculture: priorités et approches

Author: Kimberly Keeton et John McDermott, Programme de recherche du CGIAR sur l’agriculture au service de la nutrition et de la santé (A4NH), dirigé par l’Institut international de recherche sur les politiques alimentaires (IFPRI), Washington (États-Unis).

Date: 05/06/2014

Introduction:

L’établissement de régimes alimentaires sains est certes nécessaire, mais insuffisant, et l’agriculture y contribue par le biais de la production alimentaire, en assurant la disponibilité, l’accessibilité, l’utilisation et la durabilité. Le rôle de l’agriculture et de l’alimentation évolue sans cesse. L’agriculture est à la fois axée sur le marché et sur la subsistance des ménages. Alors, comment concilier qualité nutritionnelle, sécurité alimentaire et prix ? Ces dernières décennies, l’accès a été limité par l’offre et la hausse des prix et, lorsque l’alimentation est moins diversifiée, les aliments de base prennent une place plus importante pour répondre aux besoins nutritionnels, notamment en oligo-éléments.   


 

Améliorer la nutrition grâce à l’agriculture :priorités et approches

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Kimberly Keeton et John McDermottProgramme de recherche du CGIAR sur l’agriculture au service de la nutrition et de la santé (A4NH), dirigé par l’Institut international de recherche sur les politiques alimentaires (IFPRI), Washington (États-Unis). 

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Introduction

La dénutrition (y compris la malnutrition chronique et la carence en micronutriments) est un problème de santé mondial, dont l’éradication permettrait d’augmenter à la fois la productivité et la croissance économiques et d’améliorer le bien-être humain. Le retard de croissance touche 165 millions d’enfants, dont 80 % vivent dans 14 pays seulement (UNICEF, 2013). Si l’Inde compte le plus grand nombre d’enfants atteints d’un retard de croissance, c’est en Afrique que la prévalence est la plus élevée, où 38 % des enfants de moins de cinq ans en souffrent (www.childinfo.org/malnutrition_status.html). Plusieurs initiatives récentes mettent l’accent sur la priorité mondiale de réduction de la malnutrition infantile. Le mouvement de renforcement de la nutrition « Scaling Up Nutrition » (http://scalingupnutrition.org/fr/), qui regroupe 46 pays (dont 31 en Afrique), œuvre par le biais d’une plateforme multilatérale au niveau de chaque pays. Son but est de veiller à ce que les programmes de tous les secteurs du gouvernement prennent en compte la nutrition et d’étendre la portée des actions qui réussissent à améliorer la nutrition au cours de la période critique des 1 000 premiers jours.

Compte tenu de l’interaction complexe entre les facteurs de la malnutrition, les réponses politiques et les programmes doivent être multisectoriels (Garret et Natalicchio, 2011). Un exemple de cela est le rôle crucial, mais variable, de l’agriculture dans l’établissement de régimes alimentaires sains. Même si elle a des effets « positifs » sur l’alimentation, l’augmentation de la production agricole à elle seule n’entraîne pas nécessairement de meilleurs résultats en matière de nutrition, comme la réduction des taux de retard de croissance des enfants par exemple (Masset et al., 2011). Il est nécessaire de s’engager envers des interventions prenant en compte la nutrition et dans lesquelles les objectifs et les buts (dont une attention particulière accordée à l’autonomisation des femmes) sont intégrés à l’agriculture, aux filets de sécurité sociaux, au développement et à l’éducation des enfants (Ruel and Alderman, 2013). Afin de mettre en place cet environnement favorable il faut que le gouvernement et la politique abordent la nutrition sous l’angle de trois domaines : les connaissances et les données probantes, la politique et la gouvernance, et les capacités et les ressources (Gillespie et al, 2013).  

Initiatives en matière d’agriculture et d’alimentation au service de l’amélioration de la nutrition

L’établissement de régimes alimentaires sains est certes nécessaire, mais insuffisant, et l’agriculture y contribue par le biais de la production alimentaire, en assurant la disponibilité, l’accessibilité, l’utilisation et la durabilité. Le rôle de l’agriculture et de l’alimentation évolue sans cesse. L’agriculture est à la fois axée sur le marché et sur la subsistance des ménages. Alors, comment concilier qualité nutritionnelle, sécurité alimentaire et prix ? Ces dernières décennies, l’accès a été limité par l’offre et la hausse des prix et, lorsque l’alimentation est moins diversifiée, les aliments de base prennent une place plus importante pour répondre aux besoins nutritionnels, notamment en oligo-éléments. 

Plusieurs stratégies agricoles ont déjà été mises en place pour encourager le développement de systèmes alimentaires plus nutritifs. La première approche consiste à améliorer la productivité des ménages qui cultivent des aliments nutritifs en vue de renforcer la sécurité alimentaire et nutritionnelle (voir encadré no 1), en ciblant les ménages engagés dans la production agricole à petite échelle et produisant des cultures agricoles saisonnières d’aliments traditionnels et locaux.

Encadré 1

[Encadré n° 1] Production alimentaire des petits exploitants

Le programme HFP (Homestead Food Production, ou production alimentaire familiale) désigne une initiative globale visant à promouvoir le jardinage, l’élevage à petite échelle et l’éducation nutritionnelle. Popularisée par Helen Keller International (HKI) au début des années 1990 en Asie, cette initiative a depuis été étendue à plusieurs sites en Afrique (UNICEF, 2013). Son but consiste à améliorer l’accès des ménages à des aliments riches en micronutriments et la disponibilité de ces derniers et à faire en sorte que les ménages puissent tirer des revenus de leurs ventes. HKI a eu des impacts significatifs sur les pratiques d’alimentation des nourrissons et des jeunes enfants, sur l’anémie et sur l’anthropométrie des femmes. 

HKI et A4NH collaborent pour l’évaluation des programmes sur l’agriculture et la nutrition, tels que HFP. HKI a développé et institutionnalisé sa propre voie d’impact des programmes, ce qui joue un rôle essentiel dans la conception, le suivi et l’évaluation des impacts des programmes (UNICEF, 2013). Cette méthode a permis de mieux comprendre comment les ajustements du programme HFP au Cambodge pouvaient contribuer à ce que les avantages pour les exploitations familiales se transforment en améliorations significatives en matière de santé et de nutrition pour les mères et les enfants. 

La biofortification – à savoir la culture d’aliments de base contenant des niveaux accrus de nutriments biodisponibles – est une des stratégies ciblées et rentables permettant de réduire les carences en micronutriments au sein des populations par le biais d’aliments de base couramment consommés (voir encadré no 2). 

Encadré 2

[Encadré n° 2] Biofortification – progrès récents

La malnutrition due à la carence en micronutriments est souvent qualifiée de « faim invisible ». En tout, 2 milliards de personnes souffrent d’une carence en vitamines et minéraux (micronutriments), ce qui compromet leur santé et leur potentiel humain. L’an dernier, l’initiative « Sight and Life » a utilisé des données sur la prévalence des retards de croissance chez l’enfant pour établir des indices et des cartes de la « faim invisible » dans le monde (UNICEF, 2013).

HarvestPlus, qui fait partie du programme A4NH, a démontré que la sélection végétale pouvait accroître les micronutriments essentiels à des niveaux permettant d’améliorer la nutrition, tout en maintenant et même en accroissant les rendements. Les cultures biofortifiées contiennent des micronutriments essentiels – comme la vitamine A, le fer et le zinc – et améliorent l’apport en micronutriments chez les populations cibles, à savoir les enfants et les femmes. Une étude sur la biodisponibilité chez les femmes âgées de 18 à 45 ans au Bénin a révélé que la consommation quotidienne de 160 grammes de farine de mil à chandelle biofortifiée préparée de manière typique couvrait plus de 70 % de leurs besoins journaliers en fer (UNICEF, 2013). HarvestPlus a créé un outil de classement appelé Biofortification Prioritization Index afin d’identifier les pays offrant « le plus grand potentiel » pour le renforcement de la biofortification. 

Cette année, HarvestPlus œuvrera en faveur de l’augmentation des cultures biofortifiées dans 10 pays cibles. A4NH évaluera l’efficacité nutritionnelle, notamment chez les femmes et les enfants sur la période critique des 1 000 jours, tout en assurant l’intégration des semences et des produits alimentaires biofortifiés. World Vision et HarvestPlus ont quant à eux convenu de se concentrer sur l’amélioration de l’accès aux aliments de base biofortifiés destinés à la consommation personnelle et à la vente sur des marchés locaux, en commençant par le Burundi, la Tanzanie, le Malawi, le Ghana et la Sierra Leone. 

Une autre approche consiste à améliorer les systèmes de production alimentaire axés sur le marché, notamment en offrant aux régions ciblées des possibilités d’investir dans l’amélioration de la productivité, en développant les systèmes d’irrigation, par exemple. De même, des systèmes alimentaires plus efficaces tenant compte de la qualité nutritionnelle, de la sécurité sanitaire, et des prix plus bas peuvent également s’avérer utiles (voir encadré n° 3). Les systèmes alimentaires peuvent être améliorés d’un point de vue post-récolte en mettant l’accent sur la qualité et la sécurité sanitaire des aliments, dans le cadre du processus de fortification par exemple. 

Encadré 3

[Encadré no 3] Sécurité alimentaire

Améliorer l’accès aux aliments nutritifs est inutile si le manque de sécurité sanitaire des aliments à certains stades de la chaîne de valeur favorise les épisodes de maladies. Certains fruits, légumes et aliments d’origine animale nutritifs sont particulièrement sensibles à la contamination microbienne et chimique. Les maladies d’origine alimentaire sont très répandues dans les pays en développement : chaque année, il y a environ 2 milliards d’épisodes de maladie dus à la contamination biologique et 70 % des épisodes de diarrhée chez les enfants de moins de 5 ans sont liés à des aliments ayant subi une contamination biologique. Chaque année, 1,9 million de personnes meurent de maladies diarrhéiques d’origine alimentaire ou hydrique, les victimes étant pour la plupart des enfants (UNICEF, 2013). 

Les réponses gouvernementales s’orientent vers la réglementation et le contrôle, nuisant bien souvent aux marchés informels qui, dans de nombreux pays en développement, constituent le lieu de prédilection des petits agriculteurs et des plus démunis. Les recherches réalisées par l’Institut international de recherche sur l’élevage (ILRI) dans le cadre du projet « Safe Food, Fair Food » et d’autres initiatives mettent en lumière les risques sur les marchés informels et indiquent que le durcissement de la législation n’entraîne pas forcément une réduction significative des risques. Des études sur les chaînes de valeur des produits laitiers au Kenya et en Inde et sur les chaînes de valeur du bœuf au Nigeria ont montré que des interventions simples pouvaient améliorer de manière significative la sécurité sanitaire des aliments : pour le lait, l’utilisation de conteneurs à large ouverture plus faciles à nettoyer ; la formation des commerçants sur le recours à des tests simples, notamment des lactomètres pour contrôler l’ajout d’eau dans le lait ; et des systèmes de certification permettant d’identifier les fournisseurs qualifiés. Une évaluation économique du Projet sur la production laitière des petits producteurs au Kenya, qui reconnaissait l’existence du secteur informel par le biais de la formation et de certification en matière de sécurité sanitaire des aliments, a révélé des profits d’une valeur de 28 millions de dollars US par an (UNICEF, 2013). 

Enfin, les investissements politiques et stratégiques peuvent contribuer à améliorer les systèmes alimentaires par l’adoption d’une croissance agricole durable pour les populations vulnérables offrant par la même occasion une protection sociale adaptée qui répond à des besoins de sécurité productifs.

L’agriculture doit suivre le rythme de l’augmentation de la population mondiale et véritablement déterminer la façon dont elle peut relever les défis nutritionnels tels que la réduction des retards de croissance des enfants et les carences en micronutriments (McDermott et al., 2013). Le programme de recherche du GCRAI sur l’agriculture au service de la nutrition et de la santé (A4NH) (www.a4nh.cgiar.org) examine la manière dont certaines stratégies alimentaires, ciblant généralement les petits exploitants agricoles, peuvent être mises en place pour maximiser les avantages offerts aux ménages en termes de nutrition et de santé. 

Définition des priorités et planification des actions

Le nombre croissant de données probantes relatives à l’impact potentiel des interventions en matière de nutrition oriente les futures recherches et stratégies de mise en œuvre. Ces données permettent d’aider les acteurs du domaine de l’agriculture et de la nutrition à fixer les priorités relatives aux stratégies en faveur de la nutrition, le tout dans différents contextes nationaux. Viergever et al. (2010) insistent sur les étapes préparatoires (parmi lesquelles, l’identification des facteurs contextuels, la prise de décision basée sur une approche globale et l’engagement dans une collecte d’informations inclusive), qui sont suivies par les étapes de définition des priorités (en déterminant les critères et les méthodes), et des étapes finales (évaluation du plan et partage transparent des informations). D’autres étapes consistent à identifier les lacunes en termes de connaissances et à déterminer la localisation des acteurs de la production afin d’évaluer la demande de solutions basées sur la recherche et de déterminer les chances de réussite. Une autre approche propose un processus de définition des priorités en quatre étapes qui étudie le lieu d’intervention, le secteur, le choix des voies d’impact et l’efficacité des actions effectivement mises en place. Ces guides sont destinés à filtrer les sujets de recherche et les approches en la matière afin de maximiser les chances d’amélioration de la nutrition et de la santé. Les questions clés sont les suivantes : la recherche est-elle mieux réalisée par les secteurs de l’agriculture ou de la santé agissant séparément – ou par des experts de l’agriculture et de la santé travaillant en collaboration, ou, peut-il y avoir une demande pour ce type de recherche à la fois dans le secteur de l’agriculture et de la santé ? 

Les chercheurs peuvent combiner les données existantes en matière d’amélioration de la nutrition par le biais de l’agriculture, notamment celles portant sur : la production d’aliments biofortifiés diversifiés ; le renforcement de la sécurité sanitaire des aliments dans les chaînes de valeur et l’amélioration des politiques alimentaires. Si l’on souhaite promouvoir l’agriculture au service de la nutrition grâce à des approches éprouvées, alors le renforcement des capacités, la vulgarisation et les partenariats intersectoriels sont essentiels. Compte tenu du rôle des femmes dans les prises de décisions au sein des ménages et du rôle respectif des hommes et des femmes, il est également nécessaire de promouvoir l’autonomisation des femmes et l’autonomisation locale (McDermott et al., 2013). En outre, le renforcement de la capacité des ménages à répondre aux besoins nutritionnels est vital si l’on veut compenser les énormes contraintes pesant sur les ménages les plus pauvres, diminuer le coût élevé de la malnutrition et accélérer les résultats nutritionnels positifs obtenus grâce à l’agriculture. 

Bibliographie 

Almond, D. et Currie, J. 2011. Killing me softly. Journal of Economic Perspectives 25, 1–25. http://www.princeton.edu/~jcurrie/publications/Killing_Me_Softly.pdf 

Garret, J. et Natalicchio, M. (Eds) 2011. Working multisectorally in nutrition: principles, practices, and case studies. IFPRI, Washington DC, États-Unis.
http://www.ifpri.org/sites/default/files/publications/oc68.pdf 

Gillespie, S., Haddad, L., Mannar, V., Menon, P. et Nisbett, N. 2013. The politics of reducing malnutrition: building commitment and accelerating progress. The Lancet 382 (9891), 552-569. http://dx.doi.org/10.1016/S0140-6736(13)60842-9 

Masset, E., Haddad, L., Cornelius, A. et Isaza-Castro, J. 2011. A systematic review of agricultural interventions that aim to improve nutritional status of children. EPPI-Centre, Université de Londres, Londres, Royaume-Uni.  http://r4d.dfid.gov.uk/PDF/Outputs/SystematicReviews/Masset_etal_agriculture_and_nutrition.pdf 

McDermott, J., Ait-Aissa, M., Morel, J. et Rapando, N. 2013. Agriculture and household nutrition security — development practice and research needs. Food Security 5:667-678.
http://rd.springer.com/article/10.1007%2Fs12571-013-0292-6 

Ruel, M.T. et Alderman, H. 2013. Nutrition-sensitive interventions and programmes: how can they help to accelerate progress in improving maternal and child nutrition?The Lancet 382 (9891), 536–551. http://cdm15738.contentdm.oclc.org/cdm/ref/collection/p15738coll5/id/3993 

UNICEF. 2013. Improving child nutrition, the achievable imperative for global progress. Fonds des Nations unies pour l’enfance, New York, États-Unis. http://www.unicef.org/publications/files/Nutrition_Report_final_lo_res_8_April.pdf 

Viergever, R.F., Olifson, S., Ghaffar, A. et Terry, R.F. 2010. A checklist for health research priority setting: nine common themes of good practice. Health Research Policy and Systems 8, 36. 

Autres ressources

La situation mondiale de l’alimentation et de l’agriculture. 2013. Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) http://www.fao.org/publications/sofa/fr/  

UNICEF Conceptual Framework for Malnutrition (Page 12) : http://open.umich.edu/sites/default/files/2012-malnutrition-case-study-tpuoane-lalexander-bhutton-case-studies.pdf 

Plus d’informations sur 1,000 Days : http://www.thousanddays.org/about/ 

Plus d’informations sur SUN : http://scalingupnutrition.org/fr/propos

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05/06/2014

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