Knowledge for Development

Remodeler l’enseignement supérieur agronomique ACP

Author: Pr Michael Madukwe

Date: 22/02/2008

Introduction:

La contribution de l’enseignement supérieur au processus de développement, qui doit se poursuivre, est de plus en plus reconnue comme essentielle : c’est le fait de la reconnaissance croissante du rôle de la science, de la technologie et de l’innovation dans le renouveau économique (Projet du Millénaire du secrétariat général des Nations unies, 2005). L’ONG Inter-Academy Council (IAC) a récemment souligné la nécessité pour les universités des pays en développement de devenir des centres éclatants d’excellence, capables de propulser leur pays vers l’économie de la connaissance (IAC janvier 2004 et IAC juin 2004).


 

Les lignes de force qui se font jour montrent l’urgence à repenser et à remodeler la façon dont l’agronomie est enseignée dans les régions ACP, particulièrement à l’université. Les points focaux qui joueront un rôle dans le processus sont regroupés en ensembles : savoir, durabilité, mondialisation, collaboration, stratégie et financement, et sont traités plus en détail ci-après.

Savoir

Les échecs du savoir : Un des principaux obstacles que les pays ACP doivent franchir est de réussir la transition vers une agriculture faisant plus appel au savoir, ainsi que de relever le défi des échecs du savoir. La recherche agronomique ACP ne fournit pas pour l’instant le type de savoir dont auraient besoin les utilisateurs finaux, particulièrement les agriculteurs villageois, la raison la plus fréquente étant que le savoir traditionnel et indigène n’a pas été pris en compte. Il faut mettre en œuvre de nouveaux systèmes de création et de diffusion du savoir qui tiennent compte des besoins et des expériences de l’utilisateur ; les établissements supérieurs d’agronomie doivent être aux avant-postes de la mutation en marche. Il faut accorder plus d’attention à une approche de l’enseignement supérieur agronomique qui soit régionale et basée sur la demande. Dans ce domaine, le moteur principal doit être la capacité à répondre à des modèles en mutation : être capable, par exemple, d’identifier et de mettre au point des réponses aux effets du changement climatique sur l’agriculture.

Former à nouveau personnel universitaire : la formation et l’enseignement supérieur agronomique de l’avenir doivent être accessibles, de bonne qualité, pertinents et rentables. Pour arriver à cela, les étudiants et les professeurs devraient travailler plus étroitement avec les agriculteurs, avec les autres professionnels du secteur et avec les décideurs politiques pour résoudre les problèmes affectant l’agriculture et le paysage rural. Cela n’exclut pas de continuer à suivre les voies de la recherche pour déboucher sur l’avenir. Les facultés devront être rééquipées et leurs programmes réécrits ; leurs dirigeants devront élargir leur mandat pour inclure une approche plus commerciale de la recherche de financements, de façon à ce que les étudiants bénéficient dans un environnement de qualité de l’enseignement et de la formation technique dont ils ont un besoin urgent.

Renouveler les outils des agriculteurs ruraux : l’agriculture ACP est avant tout rurale et encore entre les mains d’une population vieillissante et de femmes et de jeunes peu formés. La question se pose : comment attirer et retenir dans les campagnes la jeunesse et les jeunes spécialistes pour soutenir les efforts d’une population rurale vieillissante ? Et aussi : qu’est ce qui caractérise fondamentalement cette population rurale agricole, en termes d’âge, de sexe et de productivité agricole ? Quelles sont les compétences nécessaires à ceux qui seront – ou qui pourraient être – impliqués à l’avenir dans la production agricole, la transformation et la commercialisation ? En fonction de ces caractéristiques et de ces compétences, qui doit-on former et que doit-on enseigner dans les établissements supérieurs ? Les complexités de l’espace rural et de la vie agricole sont mal comprises et cela contribue à ce que les facultés soient mal préparées et s’appuient sur des programmes, du matériel et des approches didactiques dépassés. Un effort de compréhension de ces aspects de l’agriculture et de la vie rurale et d’un environnement urbain en pleine mutation pourrait contribuer à repositionner l’agriculture ACP et à assurer sa durabilité économique, étant donnés le dynamisme du marché, les changements dans les goûts alimentaires et la démographie.

Durabilité

Les changements dans les besoins alimentaires et les goûts du consommateur : la communauté ACP doit regarder au-delà des secteurs et des systèmes de production traditionnels de culture et d’élevage et explorer de nouvelles voies de production. Selon la FAO (2006), par exemple, les ressources de la pêche traditionnelle subissent un lent déclin alors que la production aquacole a doublé au cours des dix dernières années. Avec une demande en poisson qui devrait augmenter de 70 % dans les 35 prochaines années, l’aquaculture devrait produire en 2025 sept fois plus qu’aujourd’hui pour satisfaire à la demande mondiale. Les consommateurs demandent de plus en plus une nourriture bon marché, et leurs goûts changent sans cesse. Pour répondre à ces défis tout en assurant la durabilité des écosystèmes, il faudra que la formation bénéficie d’une réflexion, d’approches et d’innovations nouvelles.

Les marchés agricoles : le marché agricole se transforme dans tous les pays : la transition en cours est très vive au niveaux de la distribution, de la transformation, de la présentation et du marché de gros. Les efforts pour améliorer et renforcer la présence ACP dans les marchés alimentaires non traditionnels et à forte valeur ajoutée peuvent être poursuivis par des investissements dans la productivité et l’innovation. Il sera demandé aux établissements d’enseignement supérieur agronomique de former des individus qui puissent comprendre les dynamiques, les tendances, les moteurs et les soubresauts du marché et y répondre par la formation et le plaidoyer.

Biodiversité et progrès de la recherche : le place grandissante des sciences du vivant dans le développement illustre le besoin de mettre en place des compétences dans des zones comme la génétique fonctionnelle et la bioinformatique pour contribuer à combler le fossé énorme qui sépare les pays ACP du reste du monde en ce qui concerne les connaissances, les compétences et les technologies scientifiques. Cela passera par l’amélioration des cadres institutionnels qui régissent la recherche scientifique ainsi que par la mise en place des indispensables capacités scientifiques humaines. La capacité à gérer des droits de propriété intellectuelle fait partie des compétences qu’il est nécessaire d’améliorer.

Fourniture d’énergie : le rôle croissant des produits agricoles – y compris des produits de la forêt – comme source d’énergie verte laisse à penser que l’énergie va devenir un moteur de croissance et nécessite de mettre les idées en commun et de mettre en relation agriculteurs, décideurs, chercheurs, ingénieurs et autres. Le besoin de traiter les écarts technologiques et les processus d’apprentissage devient un point critique et la place des universités de plus en plus centrale dans ce processus de fabrication d’esprits ouverts.

Mondialisation

Échanges et concurrence : des échanges plus libres signifient aussi une concurrence plus vive ; pour être plus compétitifs sur le marché mondial, les pays doivent investir dans une recherche-développement susceptible d’augmenter la productivité par des progrès technologiques. Les progrès dans les biotechnologies, dans les technologies de l’information et de la communication et dans les nanotechnologies en font des candidats de choix parmi les options technologies actuelles et à venir pour améliorer la productivité, quoique le débat éthique soit toujours en cours en ce qui concerne les biotechnologies et les nanotechnologies. Les établissements d’enseignement supérieur doivent accélérer le mouvement qui les implique dans ces développements et réagir en s’assurant que les centres d’excellence sont rapidement identifiés et que des collaborations sont mises en place entre organismes de pointe du Nord et du Sud, de façon à fournir les élites dont ont besoin leurs communautés et leurs pays.

Collaborations, stratégies et financements

Établissement de liens : il n’y a pas d’exemple de pays qui ait développé son économie sans développer sa capacité scientifique et technique ; la recherche et l’enseignement agronomiques ne font pas exception à cette règle. Cela demande un système d’enseignement supérieur agronomique éclatant, dynamique et en réseau, qui soit lié aux communautés villageoises, au secteur privé, aux organismes nationaux de recherche agronomique, aux ONG et aux établissements universitaires d’autres pays. Par le renforcement de ces liens, les facultés et leur personnel sont mieux en mesure d’identifier les besoins scientifiques et techniques qui sont adaptés à leur pays. Ces liens doivent s’étendre au-delà du niveau des institutions scientifiques et devraient relier les ministères de l’éducation à ceux de l’agriculture, des finances, de la santé, ainsi qu’aux institutions internationales.

Des diplômés prêts à l’emploi : on s’attend de plus en plus à ce que les diplômés universitaires soient « prêts à l’emploi » et qu’ils aient déjà eu une expérience professionnelle au cours de leurs études. Il en résulte que la nouvelle diffusion du savoir doit aussi renforcer les liens entre connaissances et création de richesses. Les entreprises ont conscience que la connaissance, en tant que marchandise, place l’organisation au sommet ; elles apprécient l’influence grandissante de la technologie de l’information sur les augmentations de productivité dues à l’acquisition et à la gestion du savoir, sans contraintes de lieu. Avec autant d’information agronomique facilement accessible, particulièrement sous forme électronique, les établissements d’enseignement supérieur agronomique doivent fournir aux étudiants un savoir-faire qui leur permette de trouver, de rapatrier, de décoder et d’évaluer l’information et d’appliquer le savoir acquis. À l’âge de l’information, les diplômés doivent être à même de se familiariser avec les nouveaux secteurs émergents et de s’adapter aux modifications du socle de connaissances de leur domaine.

Politique stratégique et financement : l’impact des changements auxquels l’agriculture ACP devra faire face au cours de la prochaine décennie et au-delà nécessite l’élaboration d’une politique stratégique de l’enseignement supérieur agronomique ACP. Cela entraînera une évolution dans le mécanisme du financement à long terme. À l’heure actuelle, l’essentiel du financement de l’enseignement supérieur agronomique provient des gouvernements nationaux, avec une très faible contribution du secteur privé. L’essentiel de cet apport externe va aux masters et programmes de doctorat. Le niveau des licences et des maîtrises est en déclin, on se plaint de plus en plus de la faiblesse des candidats, mais peu a été fait pour redresser la barre (Jones, 2005). Avec un financement public déclinant, les établissements d’enseignement supérieur agronomique au sein des régions ACP vont être de plus en plus poussés à se tourner vers le secteur privé et autres sources externes pour une bonne partie de leur financement, et ce dans un contexte concurrentiel. La capacité à maîtriser ce processus et l’habileté à déployer pour atteindre les objectifs de financement indiquent que les établissements d’enseignement supérieur agronomique ACP doivent très vite porter leur crédibilité au niveau requis par les bailleurs de fonds internationaux s’ils veulent attirer des financements.

Pr Michael Madukwe, doyen de la faculté d’agronomie, université du Nigeria

Références

Food and Agriculture Organisation (2006). State of World Aquaculture

InterAcademy Council, (Janvier 2004). Inventing a better future: A strategy for building worldwide capacities in science and technology. IAC Amsterdam, Pays-Bas.

InterAcademy Council, (Juin 2004). Realizing the promise and potential of African agriculture: science and technology strategies for improving agricultural productivity and food security in Africa, IAC Amsterdam, Pays-Bas. Résumé

Johnston, R (1998). The Changing Nature of Knowledge: A Review. Rapport EIP. Canberra, Australie : DETYA

Jones, M (2006).An Agricultural Research Perspective on poverty, innovation policies and agricultural development in sub-Saharan Africa. Communication présentée à l’atelier EGDI Policy, Poverty and Agricultural Development in Sub-Saharan Africa, 8-9 Mars 2006, Frösundavik, Suède.

UN Millennium Project (2005). Innovation: Applying Knowledge in Development. Task Force on Science, Technology and Innovation, Earthscan, Londres, Royaume-Uni.

Préparé par J.A. Francis, CTA et J. Sluijs, KIT

22/02/2008

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