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Financement de la Recherche Agricole pour le Développement (RAD)

Author: Isaac J. Minde

Date: 26/04/2016

Introduction:

Injecter des millions de dollars dans un système de recherche ne garantit pas forcément la qualité de la recherche ni l’utilité des résultats. Ce n’est pas non plus un gage de développement. De nombreux aspects doivent être pris en considération et menés de front de manière simultanée, harmonieuse et coordonnée pour atteindre l’objectif de la recherche. Tout d’abord, il faut des chercheurs qualifiés, compétents et motivés, ainsi que des mesures incitatives visant à ce que la priorité soit donnée à la recherche plutôt qu’à autre chose. En Tanzanie, par exemple, les titulaires d’un doctorat étaient moins nombreux en 2011 qu’en 2008. Cette baisse est préoccupante, surtout au vu de l’importance du secteur agricole et de l’utilité de la recherche pour relever les défis actuels et futurs.


 

Financement de la Recherche Agricole pour le Développement (RAD)

Isaac J. Minde1

(1) Directeur adjoint du projet Innovative Agricultural Research Initiative (iAGRI) et professeur de développement international, Département d’agriculture, Économie des ressources et de l’alimentation, Université d’État du Michigan, basé à l’Université d’agriculture Sokoine, BP 3114, Morogoro, Tanzanie. E-mail: minde@iagri.org.

Approche conceptuelle

Injecter des millions de dollars dans un système de recherche ne garantit pas forcément la qualité de la recherche ni l’utilité des résultats. Ce n’est pas non plus un gage de développement. De nombreux aspects doivent être pris en considération et menés de front de manière simultanée, harmonieuse et coordonnée pour atteindre l’objectif de la recherche. Tout d’abord, il faut des chercheurs qualifiés, compétents et motivés, ainsi que des mesures incitatives visant à ce que la priorité soit donnée à la recherche plutôt qu’à autre chose. En Tanzanie, par exemple, les titulaires d’un doctorat étaient moins nombreux en 2011 qu’en 2008 (Figure 1).

Figure 1 : Nombre de titulaires d’une maîtrise et d’un doctorat en 2008 et 2011

Cette baisse est préoccupante, surtout au vu de l’importance du secteur agricole et de l’utilité de la recherche pour relever les défis actuels et futurs. En cas d’augmentation des niveaux de financement, il n’y aurait pas suffisamment de chercheurs pour répondre aux demandes à court terme. Il faut également une infrastructure physique adéquate pour pouvoir mener les activités de recherche agricole prévues. La mise en œuvre du programme de recherche proposé passe aussi par la planification du financement. Une gestion financière efficace des fonds de recherche est importante pour garantir une recherche de bonne qualité en temps opportun, qui réponde aux objectifs fixés (Figure 2).

Figure 2 : Pour le bon fonctionnement du système, il faut également financer ses diverses composantes.

 
Sources de financement de la recherche
Gouvernement : La principale source émane du financement public car la recherche agricole, qui répond à des besoins nationaux, est par définition un bien public. Elle est soumise aux principes de non-exclusion et de non-rivalité (Byerlee et Echeverria, 2002). On ne peut pas exclure les mauvais payeurs de l’utilisation des résultats de la recherche. Les semences obtenues en tant que produit de la recherche sont vendues et utilisées par tous les exploitants agricoles. De nombreux gouvernements d’Afrique n’injectent pas suffisamment d’argent dans la recherche agricole, ne serait-ce que pour respecter les engagements qu’ils ont pris dans le cadre des forums pan-territoriaux et régionaux, tels que ceux organisés par le Nouveau Partenariat pour le développement de l’Afrique (NEPAD). Les pays africains se sont engagés à allouer au moins 1 % du produit intérieur brut agricole à la recherche. Les données de 10 pays sélectionnés dans la base de données des indicateurs relatifs aux sciences et technologies agricoles (ASTI 2014) montrent que ce n’est pas le cas de certains pays (Tableau 1).

Tableau 1 : Pourcentage du PIB agricole alloué à la recherche-développement agricole de 2003 à 2011 (PIB de 2011 en milliards de dollars US)

On constate aussi une forte volatilité d’une année à l’autre, comme dans le cas de Madagascar (Tableau 2). Une telle irrégularité est potentiellement destructrice, car les activités de recherche planifiées risquent de s’arrêter si le financement diminue de façon soudaine et excessive.

Tableau 2 : Augmentation des dépenses publiques totales allouées à la recherche agricole et de leur pourcentage (en millions de dollars constants de 2005)

De la même manière, lorsque les fonds alloués à la recherche augmentent rapidement, comme au Malawi entre 2008 et 2011, il se peut que le système ne soit pas prêt à absorber ce choc positif (Tableau 2). Les dépenses par chercheur en Afrique restent également très faibles et une grande partie du budget de la recherche est consacrée au paiement des salaires. Il s’agit d’un coût fixe, étant donné que la priorité est donnée au paiement des salaires, même si le budget alloué est faible. En 2011, les dépenses par chercheur n’étaient que de 43.000 dollars à Madagascar, alors qu’elles se montaient à 365.000 dollars en Ouganda (Tableau 3).

Tableau 3 : Nombre de chercheurs titulaires d’une maîtrise ou d’un doctorat et dépenses par chercheur en 2011 (en milliers de dollars)

En 2011, l’Afrique a investi 0,51 % de la valeur de la production agricole dans la recherche agricole, un taux bien inférieur à l’objectif de l’Union africaine fixé à 1 % minimum (Beintema et Stads, 2013).

Bailleurs de fonds : Le financement de la recherche en Afrique est assuré par plusieurs bailleurs de fonds, à hauteur, dans certains cas isolés, de 50 % (Spielman et al., 2011). Ce financement est principalement adressé aux gouvernements nationaux, aux universités (notamment d’agriculture) et aux organisations non-gouvernementales (ONG). Les bailleurs de fonds deviennent particulièrement utiles lorsque les gouvernements sont confrontés à une crise financière ou à une guerre civile. Dans de telles situations, le système de recherche gouvernemental devient partiellement ou totalement dysfonctionnel et le financement des bailleurs de fonds est alors dirigé vers les ONG pour gérer la recherche. C’est ce qui s’est produit au Mozambique, au Rwanda, au Burundi et en République démocratique du Congo. Les ONG peuvent offrir une période de répit, le temps que la situation du pays revienne à la normale. Toutefois, les ONG ne sont pas forcément formées pour effectuer une recherche scientifique de qualité et dans certains pays, elles se voient confrontées à d’importants défis technologiques et scientifiques. Les ONG peuvent aussi être des bailleurs de fonds, selon leur structure organisationnelle, notamment les ONG internationales telles qu’Oxfam (www.oxfam.org), TechnoServe (www.technoserve.org) et CNFA (www.cnfa.org), etc.

Secteur privé : En Afrique, le financement de la recherche agricole par le secteur privé demeure très peu développé. Le secteur privé poursuit « un but lucratif », et par conséquent, quel que soit le domaine dans lequel il investit, il doit avoir la certitude que le jeu en vaut la chandelle. Le secteur privé est plus susceptible de collaborer avec les universités qu’avec les ministères, et ce, afin d’échapper aux lourdeurs bureaucratiques. Certes, il n’exclut pas de travailler avec les gouvernements, mais au regard de la rigidité de leur organisation, il est plus facile pour le secteur privé de faire équipe avec les universités pour faire de la recherche.

Fonds de recherche et développement sur les produits de base : En Afrique, la recherche sur les marchandises physiques axées sur l’exportation telles que le tabac, le café, le sisal, le thé, la noix de cajou et le coton a depuis toujours possédé ses propres fonds et employé ses propres scientifiques, à des postes jugés très prestigieux pour les diplômés. Les fonds provenaient d’un impôt prélevé sur chaque kilo de marchandise vendue ou exportée, selon ce qui était considéré comme le plus avantageux, et les déductions étaient effectuées par une coopérative chargée de la gestion des produits concernés. Aujourd’hui, la plupart des organisations axées sur les denrées de base ne sont plus en mesure de contribuer à la recherche, en raison des difficultés administratives, commerciales et politiques qui les ont rendues moins actives dans la collecte des fonds et dans le bon usage de cet argent aux fins de la recherche.

Qui fait de la recherche agricole et pourquoi ?
Ministères des départements de recherche agricole : Généralement, c’est là qu’est effectuée la recherche agricole en Afrique. Toutefois, les gouvernements ayant bien souvent du mal à financer de manière adéquate la recherche agricole, il est devenu urgent de diversifier la réalisation de la recherche agricole.

Universités d’agriculture : Dans de nombreux pays, c’est là qu’on trouve la plus forte concentration de chercheurs qualifiés en agriculture, titulaires d’une maîtrise ou d’un doctorat. Outre la recherche réalisée par le personnel universitaire, des projets de recherche sont entrepris par des étudiants de cycle supérieur dans le cadre de l’obtention de leur diplôme. En raison de certains problèmes de coordination, la plupart de ces études n’ont pas d’autre utilité que de permettre à l’étudiant d’obtenir son diplôme. L’occasion de faire un bon usage de ces projets étant rarement saisie, ils ne permettent pas de répondre aux besoins nationaux. Dans un projet d’une durée de 6 ans mené par l’USAID dans le cadre de l’initiative Feed the Future dénommé Innovative Agricultural Research Initiative, basé à l’Université d’agriculture Sokoine, en Tanzanie, qui porte notamment sur la formation postuniversitaire à long terme, la composante recherche doit se faire en Tanzanie. À l’issue de ce projet en 2017, 135 étudiants auront été formés et auront terminé leurs projets de recherche. Ces sujets étant choisis parmi les thèmes de recherche prioritaires identifiés par les principales parties prenantes du projet, à savoir, l’université, le ministère et certaines entreprises du secteur privé dans le système alimentaire, cette recherche représente une contribution très importante pour le système de recherche du pays.

Étudiants du projet iAGRI
En 2013, Neema Shosho, une étudiante parrainée par l’iAGRI, dans le cadre du projet Feed the Future de l’USAID pour la Tanzanie, est rentrée dans son pays d’origine (la Tanzanie) après avoir étudié à l’Université de Tuskegee, aux États-Unis, pour réaliser ses travaux de recherche de maîtrise. Ces derniers portaient sur l’efficacité d’un système d’éducation alternatif pour inculquer aux mères dans les zones rurales les connaissances dont elles ont besoin pour administrer des compléments alimentaires nutritifs à leurs nourrissons. En parallèle, Chacha Nyangi s’est penché sur l’efficacité d’un sac de stockage de céréales spécialement conçu pour prévenir l’accumulation de mycotoxines potentiellement nocives, ainsi que la résistance du sac contre l’infestation des nuisibles dans les stocks de maïs et de haricots après récolte (iAGRI, 2014). On peut s’interroger sur la pérennité de ces projets et programmes très intéressants. Généralement, dans le monde, une grande partie des travaux de recherche réalisés dans les universités est financée par des bailleurs de fonds, et dans une moindre mesure, par les gouvernements. L’Université d’agriculture Sokoine, par exemple, compte plusieurs donateurs – DANIDA (www.um.dk/en/danida-en), l’Union européenne (www.europa.eu), JICA (www.jica.go.jp), NORAD (www.norad.no), l’USAID (www.usaid.gov) – qui adoptent différents cycles de financement de la recherche. Il y a bien sûr des hauts et des bas mais en règle générale, les fonds de recherche ne se tarissent jamais complètement, surtout si les chercheurs ont bonne réputation.

Organisations axées sur les produits de base et secteur privé : Habituellement, les organisations axées sur les produits de base et les entreprises privées se chargent elle-même de la recherche. Pour ce faire, elles collaborent bien souvent avec les ministères de l’agriculture ou les universités.

Financement de la recherche agricole et types de recherche
Glenn Johnson (1986) identifie trois types de recherche : la recherche basique ou disciplinaire, la recherche thématique et la recherche destinée à la résolution des problèmes. La première, qui vise à améliorer une discipline, peut s’intéresser à des sujets plus ou moins connus. Elle peut donc rencontrer de grosses difficultés pour attirer le financement de gouvernements soumis à des restrictions budgétaires. La recherche thématique cherche à générer des connaissances qui seront ensuite exploitées dans la recherche destinée à la résolution des problèmes, par exemple, la recherche sur les méthodes et outils à utiliser pour faire face au changement climatique. Ses résultats sont certes utiles, mais leur application n’est pas toujours immédiate, ce qui limite aussi le financement. La troisième est la recherche visant à résoudre un problème de société particulier pouvant être relativement grave comme par exemple, la recherche sur la nécrose létale du maïs. Pour de nombreux pays d’Afrique subsaharienne aux fonds de recherche limités, le troisième type est le plus populaire, suivi par le deuxième puis le premier. Or, un pays doit investir dans les trois types de recherche car ils ont un rôle spécifique à jouer dans le développement économique et social national.

Conclusions sur le financement futur de la RAD
Les points suivants résument ce qui peut s’avérer nécessaire pour améliorer les systèmes de recherche en Afrique et attirer davantage d’investissements.

  • Articulation précise du programme de recherche – il est crucial que les principales parties prenantes en aient connaissance.
  • Il est essentiel que les processus d’établissement du programme de recherche adoptent une approche participative et inclusive.
  • Réactivité face aux préoccupations nationales, régionales et internationales. Il faut penser globalement, mais agir localement.
  • La recherche doit impérativement être connectée aux efforts nationaux, régionaux et internationaux : cela contribuera à renforcer les capacités des employés jeunes et inexpérimentés, en évitant les faux départs et en réalisant des économies d’échelle.
  • Il est absolument indispensable d’accroître le rôle du secteur privé dans le financement de la recherche. Cette mission devrait incomber aux ministères de l’agriculture ainsi qu’aux universités d’agriculture. L’initiative iAGRI à l’université d’agriculture Sokoine menée dans le cadre du projet Feed the Future de l’USAID commence à faciliter l’orientation commerciale des propositions de recherche du personnel et des étudiants diplômés pour attirer le secteur privé. Cela porte ses fruits et contribue à rendre la recherche plus intéressante pour le monde des affaires, tout en vérifiant sa pertinence au niveau national.

Références

ASTI 2014. Agricultural R&D Indicator Factsheet. Agricultural Science and Technology Indicators. IFPRI, Washington, D.C., États-Unis.
http://www.asti.cgiar.org/fr/ssa-outputs [Accessible le 11 février 2015]

Beintema, N. et Stads, G-J. 2013. Agricultural R&D: Is Africa Investing Enough? International Food Policy Research Institute. Global Food Policy Research Report IFPRI, Washington, D.C., États-Unis.
http://www.asti.cgiar.org/pdf/GFPR13_2014_ch05_web.pdf [Accessible le 11 février 2015]

Byerlee, D. et Echeverria, R. (éditeurs). 2002. Agricultural Research Policy in an Era of Privatization. CABI, Wallingford, Royaume-Uni.

iAGRI. 2014. Innovative Agricultural Research Initiative (iAGRI). Students’ research topics. http://stories.iagri.org/blog [Accessed 11 February 2015]

Johnson, G.L. 1986. Research Methodology for Economists. MacMillan Publishers, Londres, Royaume-Uni.

Spielman, D.J., Zaidi, F. et Flaherty, K. 2013. Changing Donor Priorities and Strategies for Agricultural R&DDeveloping Countries.Evidence from Africa. Conference Working Paper 8. Prepared for the ASTI-IFPRI-FARA Conference, Accra, Ghana. 5-7 December 2011.
http://www.asti.cgiar.org/pdf/conference/Theme1/Spielman.pdf [Accessed 11 February 2015]

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