Knowledge for Development

Ethique de la science au service du développement

Author: Professeur Michiel Korthals, Responsable du Groupe de philosophie appliquée, Université de Wageningen (Pays-Bas)

Date: 28/07/2008

Introduction:

Les scientifiques peuvent-ils prendre part aux activités de recherche visant à améliorer la conversion des cultures vivrières en biocarburants tout en sachant que le recul de la faim dans le monde risque, à court terme, d’être menacé ? Les scientifiques doivent-ils contribuer à l’élaboration de projets d’irrigation non durables ayant pour but d’apporter une aide à court terme mais ne répondant pas aux réels besoins en eau des communautés pour leur permettre de soutenir une production agricole durable ? Les scientifiques doivent-ils avoir recours à l’expérimentation humaine pour tester de nouveaux aliments et médicaments dans des pays pauvres où aucun cadre politique, réglementaire et législatif n’a été prévu à cet effet ?


 

Doivent-ils publier les résultats de leurs travaux tout en sachant que les informations disponibles seront insuffisantes pour pouvoir tirer parti des connaissances qui en découlent et ainsi mieux orienter les efforts de recherche à l’avenir ? L’invention d’un chercheur doit-elle faire l’objet d’un brevet pour autant que cette mesure de protection peut limiter sa disponibilité en tant que bien public ? Les dilemmes énumérés ci-dessus concernent principalement les priorités en matière de recherche, les expérimentations, les publications et l’octroi de brevets. Les chercheurs des pays en développement, tout comme leurs homologues des pays du nord, sont confrontés à de nombreux dilemmes d’ordre éthique. Quoi qu’il en soit, les intérêts conflictuels, les normes et les valeurs sont en jeu et la réponse à ces problèmes requiert une réflexion éthique.

Depuis la seconde guerre mondiale, les chercheurs sont de plus en plus confrontés à de nombreux problèmes et dilemmes d’ordre éthique. Ils tentent non seulement de mettre en évidence le réel défi que constitue l’acceptabilité éthique des relations existantes entre la recherche privée et publique, et leur combinaison, mais aussi de remettre en question les systèmes d’octroi des brevets. Même dans ce domaine, il semble que l’action nocive de certains imposteurs et carriéristes ait ébranlé la relation de confiance qui existe habituellement entre la science et la société. Les controverses entourant la recherche, telles que les manipulations génétiques, ou les projets de recherche présentant des objectifs controversés comme l’utilisation de gènes regroupés sous le nom de GURT (technologies génétiques restrictives) pour produire des semences ou encore le fait d’accepter le principe du financement de la recherche par certaines organisations qui possèdent un droit d’exploitation exclusif des résultats de la recherche, suscitent l’intérêt des responsables politiques et de la société civile. Les priorités en matière de recherche scientifique font généralement l’objet de critiques et la science est souvent perçue comme un moyen de réduire le fossé entre les pays pauvres et les pays riches.

L’éthique de la recherche ne peut résoudre tous les problèmes. Elle peut, en revanche, fournir aux chercheurs un certain nombre d’outils pour résoudre ces dilemmes. On dit souvent que la science est objective et que l’éthique, liée à des choix personnels, est subjective. En y regardant de plus près, il semble que l’adoption de valeurs éthiques revêt une importance réelle pour l’évolution future de la science. De plus, les priorités et les agendas de recherche intègrent des valeurs considérées comme dignes d’intérêt par les directeurs de recherches. Le processus de sélection des matériels, méthodes et produits dérivés de la science intègre même un certain nombre de valeurs, notamment lorsqu’elles sont liées à l’impact attendu sur la société.

Il est possible de situer l’éthique à différents échelons de la recherche : la priorité des domaines de recherche, la conduite des recherches et la communication des résultats au public. Les priorités et les agendas de recherche déterminent l’avenir de la recherche en ouvrant des perspectives scientifiques et technologiques qui ne peuvent pas être modifiées facilement. Très souvent, les résultats des projets de recherche (notamment en agronomie) ne sont utilisés que par de grandes sociétés internationales et non par de petits exploitants agricoles. La notion de justice loyale et équitable est ici l’objet de nombreux discours qui s’ignorent. En matière de recherche et d’expérimentation sur les humains et les animaux, le chercheur s’engage dans la mesure du possible à diminuer les souffrances infligées aux sujets. Avant toute chose, il sera tenu d’expliquer en toute transparence les subtilités de ses expérimentations. Dans le cas d’une expérimentation sur un sujet humain, il est obligatoire sur un plan éthique de fournir à celui-ci une explication claire à ce propos.

Il y a un besoin de transparence, de démocratie et d’égalité (en termes d’accès aux ressources) dans la recherche. La persistance de fortes disparités en termes d’accès et de capacités entre pays - et par extension leurs scientifiques - met à l’épreuve la capacité qu’ils ont à promouvoir une recherche de pointe et à développer sa valorisation. Qui plus est, des éléments de preuve risquent d’être ignorés délibérément, voire dissimulés ou encore de ne pas être pris en compte sérieusement. La science est indubitablement fondée sur des preuves et la destruction sans raison valable de données qui pourraient s’avérer extrêmement précieuses, notamment dans la lutte contre la faim et la malnutrition, ne peut être justifiée. L’octroi de brevets pour les résultats de la recherche est une question véritablement complexe. Le système d’octroi de brevets visait initialement à stimuler une activité inventive en honorant son inventeur. Aujourd’hui, ce système freine le développement de la science puisqu’il ne garantit plus aux chercheurs « la liberté de la recherche scientifique », étant donné qu’il faut souvent acquérir les droits conférés par un brevet avant d’être autorisé à lancer la recherche. En outre, ce système empêche les pays pauvres de mener à bien leurs recherches en raison, notamment, de l’insuffisance des fonds disponibles.

L’introduction sur le marché de produits issus de la recherche scientifique, comme par exemple les produits alimentaires issus des nanotechnologies, peut également soulever diverses questions éthiques concernant la santé et la sécurité. Une fois de plus, les scientifiques ont une responsabilité sociale visant à prendre en considération l’ensemble des préoccupations liées à la conception et à la communication de la recherche.

Pour résoudre ces dilemmes d’ordre éthique, il serait souhaitable dans un premier temps de dresser une liste des questions à poser et des parties intéressées, puis de déterminer les priorités, les urgences, la pertinence ainsi que les stratégies appropriées pour répondre à ces questions. Deuxièmement, en interaction avec les collègues et les parties intéressées, s’immiscer dans un raisonnement éthique : quels sont les intérêts et les conflits spécifiques ? Les droits seront-ils respectés ? Les conséquences sont-elles contraignantes ? Troisièmement, l’accord final peut consister à rendre une décision, à remettre à plus tard ou à trouver des solutions qui répondent aux attentes de l’ensemble des parties prenantes (ou de la plupart, le cas échéant). Enfin, il convient de traiter avec égard tous ceux qui ont perdu leur pouvoir de décision finale, dans la mesure où les chercheurs ne vont pas se contenter de croire que cette réponse finale est le simple fait de pouvoir prendre une décision « en toute conscience ». Le temps nécessaire pour la familiarisation du public avec les aliments génétiquement modifiés nous en apprend davantage à ce sujet.

Ce plan en quatre étapes peut contribuer à l’amélioration des normes et des compétences éthiques des chercheurs, mais le dialogue avec les personnes intéressées reste néanmoins la meilleure façon d’éviter un conflit éventuel.

Bibliographie

Bulger, R., (ed) 2002, La dimension éthique dans les sciences biologiques, Cambridge Mass : Cambridge University Press

Korthals, M., 2004, Do We Need Berlin Walls or Chinese Walls between Research, Public Consultation, and Advice? New Public Responsibilities for Life Scientists, Journal of Academic Ethics, 1, 4, pp. 385-395

Korthals, M. & R. Bogers (eds.), 2005, Ethique en sciences de la vie, Springer, Dordrecht

Resnik, D., 1998, L’éthique de la science, Londres : Routledge

28/07/2008