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Vers un code d’éthique mondial de la recherche scientifique

Author: Melissa Anderson, Université du Minnesota, USA

Date: 21/07/2011

Introduction:

L’intégrité de la recherche et la fraude scientifique sont des questions qui préoccupent la planète. La recherche universitaire se veut aujourd’hui internationale, dans la mesure où les technologies de la communication permettent de collaborer partout dans le monde. La garantie de la véracité des résultats scientifiques est fondamentale pour faire avancer la science. La falsification des rapports ou des résultats, la malhonnêteté, les affirmations mensongères et autres actes répréhensibles mettent en péril l’attribution des financements publics et privés pour la recherche scientifique légitime.

Certains aspects de la recherche transnationale mettent en lumière des préoccupations profondes concernant cette intégrité. Les chercheurs peuvent être soumis à différents codes de conduite, lois et autres directives qui réglementent leurs activités dans leurs pays respectifs. Ce qui est acceptable dans un pays peut être considéré illégal dans un autre. Aujourd’hui, toutefois, aucune organisation n’assume la responsabilité de promouvoir l’intégrité dans le domaine de la recherche. Cette intégrité n’est garantie par aucun accord international. On peut en outre s’interroger sur la manière dont est appréhendé le terme « intégrité », étant donné qu’il ne peut être traduit directement dans d’autres langues. De plus, la fraude scientifique est ouverte à l’interprétation, dans la mesure où les pays associent différents niveaux de tolérance au plagiat ou à la violation du droit d’auteur.


 

Vers un code d'éthique mondial de la science

Melissa S. Anderson, Université du Minnesota, États-Unis

L’intégrité de la recherche et la fraude scientifique sont des questions qui préoccupent le monde entier. La science elle-même est une entreprise mondiale. La recherche universitaire a une dimension de plus en plus internationale, dans la mesure où les technologies de communication permettent une collaboration mondiale. Les diplômés et les jeunes chercheurs sont en quête d’opportunités de formation et de recherche en dehors de leurs pays d’origine. Les activités de recherche et développement des entreprises sont reliées à l’échelle planétaire, comme en témoigne le développement des essais cliniques biomédicaux dans les pays en développement.

La fiabilité des résultats scientifiques est essentielle pour faire progresser la science partout dans le monde. La falsification des rapports ou des résultats, la malhonnêteté, les affirmations mensongères et autres manquements compromettent la science. Ils gaspillent les maigres ressources qui pourraient être utilisées pour des recherches scientifiques légitimes et mettent en péril le financement futur de la science par des organismes gouvernementaux et privés.

Certains aspects de la recherche transnationale rendent ces préoccupations encore plus problématiques sur la scène internationale. Des collaborateurs peuvent être soumis à différentes lois, réglementations, directives et attentes à l’égard des activités de recherche qu’ils mènent dans leurs pays respectifs. Ce qui est acceptable dans un pays est parfois illégal dans un autre. Par exemple, certains pays sont assujettis à des réglementations concernant l’utilisation de sujets humains et animaux dans la recherche qu’il peut être difficile ou impossible de respecter dans d’autres pays, en raison de réglementations contradictoires ou d’impératifs religieux. D’un autre côté, certains chercheurs profitent du manque de rigueur dans le contrôle et la réglementation d’autres pays pour mener des recherches qui seraient inacceptables chez eux.

Aujourd’hui, il n’existe cependant pas d’organisation ou d’organe responsable de l’intégrité de la recherche à l’échelle mondiale. Aucun accord international ne définit ce qui constitue l’intégrité de la recherche ni la façon dont le terme « intégrité » doit être appréhendé, étant donné qu’il ne peut être traduit directement dans certaines langues. En outre, la fraude scientifique est sujette à interprétation, car les pays font preuve de différents degrés de tolérance à l’égard du plagiat, de la violation du droit d’auteur et d’autres pratiques contestables.

Codes de conduite pour l’intégrité de la recherche

En l’absence d’organismes de réglementation internationaux et d’autres mécanismes de contrôle, les codes de conduite concernant l’intégrité de la recherche constituent un moyen privilégié de favoriser un accord mondial sur la conduite responsable de la recherche. S’ils ne peuvent garantir une conduite respectueuse, ils instaurent des normes permettant d’évaluer par comparaison les comportements.

Les objectifs et utilisations de ces codes sont variés. Certains sont ambitieux dans la mesure où ils déterminent des comportements idéaux. Ces codes ne sont généralement pas destinés à représenter des normes pouvant être appliquées au quotidien, mais plutôt une conduite exemplaire que chacun peut s’efforcer d’adopter. Ils sont le plus souvent conçus par des associations scientifiques sans aucun moyen de les faire respecter. En revanche, d’autres codes déterminent des normes minimales auxquelles chacun doit se conformer en toute occasion. Ces codes sont fréquents lorsqu’une organisation veut veiller au respect des règles et est en mesure de sanctionner ceux qui les violent.

Le type de code le plus répandu et utile se trouve entre ces deux extrêmes. Il détermine le comportement que les chercheurs devraient adopter, qui va bien plus loin qu’une conduite simplement acceptable sans toutefois prétendre à un idéal inaccessible. De tels codes peuvent être utiles au développement de politiques nationales ou institutionnelles, car ils représentent une approche commune de la déontologie.

Mesures pour l’adoption d’un code de conduite mondial

La nécessité d’un accord international sur l’intégrité scientifique et l’inconduite est reconnue à chaque fois qu’un cas important de fraude est sous les feux des projecteurs. Les fraudes commises par des scientifiques, comme le Japonais Shinichi Fujimura (Normile, 2001), le Sud-Coréen Woo Suk Hwang (BBC, 2005), le Norvégien Jon Sudbø (Horton, 2006), l’Américain Eric Poehlman (Interlandi, 2006) et le Danois Anders Pape (Borrell, 2007), ont conduit à l’élaboration de politiques dans leurs pays et ailleurs. Le scandale est malheureusement une source de motivation importante pour le développement de règles d’intégrité.

Les cas de fraude ont souvent des répercussions au-delà des frontières. De vastes réseaux de collaborateurs, de coauteurs, d’anciens étudiants et d’organismes de financement peuvent être concernés par les actes répréhensibles commis par un seul scientifique. Le règlement d’un cas de fraude peut s’avérer difficile et coûteux dans un environnement national ou institutionnel ; mais quand la fraude dépasse les frontières, le problème s’avère extrêmement complexe (voir cas ci-dessous).

Cas

(Selon un incident rapporté dans Boesz et Fisher, 2011, p. 123.)

Le scientifique A adresse une demande de subvention à un organisme situé dans un autre pays. Cette demande est étudiée par le scientifique B dans ce pays, qui lui attribue une faible notation. Le scientifique B insère alors une partie du texte d’origine dans une demande de subvention qu’il adresse à un organisme de financement situé dans le pays du scientifique A. Le plagiat est découvert lorsque le scientifique A se retrouve chargé d’étudier la nouvelle demande. La situation se complique en raison des différences entre les systèmes d’évaluation des organismes situés dans deux pays distincts et du fait que les demandes de subvention sont toutes deux soumises aux clauses de confidentialité des organismes.

Quelle doit être la démarche du scientifique A, une fois le plagiat découvert ?

Comment les organismes de financement concernés doivent-ils traiter le problème ?

Quelles sanctions doivent être prises à l’encontre du scientifique B ?

En 2006, l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) a examiné la question de la fraude scientifique lors du Forum mondial de la science. À l’issue d’ateliers et de réunions, deux documents ont été élaborés pour fournir des orientations sur l’inconduite (« Bonnes pratiques pour promouvoir l’intégrité scientifique et prévenir la fraude scientifique », OCDE, 2007) et les enquêtes sur les allégations de fraude scientifique dans un contexte de collaboration scientifique internationale (« Investigating Research Misconduct Allegations in International Collaborative Research Projects: A Practical Guide », OCDE, 2009).

La Fondation européenne de la science et la Fédération européenne des Académies nationales des sciences et des sciences humaines (ALLEA) ont récemment publié le « Code de conduite européen pour l’intégrité dans la recherche » (ALLEA, 2011). Selon le site Web d’ALLEA, ce document de consensus « fait office de modèle pour l’autoréglementation[…]. Il n’a pas été conçu pour se substituer aux directives nationales ou académiques existantes, mais pour représenter un accord de dimension européenne sur un ensemble de principes et de priorités pour la communauté de recherche ».

Une troisième initiative transnationale a été élaborée suite aux première et seconde Conférences mondiales sur l'intégrité de la recherche, qui se sont tenues à Lisbonne (Mayer et Steneck, 2007) et à Singapour (Anon., 2010). La nécessité d’établir une directive internationale sur l’intégrité de la recherche a été identifiée lors de la première conférence et abordée lors de la seconde, en 2011, avec la publication de la Déclaration de Singapour sur l’intégrité de la recherche, actuellement disponible en 14 langues.

La Déclaration de Singapour

La Déclaration de Singapour note dans son préambule que : « La valeur et les bénéfices de la recherche pour la société sont totalement dépendants de l'intégrité en matière de recherche. Quelle que soit la manière dont la recherche est menée et organisée selon les disciplines et les pays, il existe des principes communs et des obligations professionnelles similaires qui constituent le fondement de l'intégrité dans la recherche, où qu'elle soit menée. » La Déclaration vise à encourager et orienter la mise au point de politiques et de normes sur le plan national, disciplinaire et institutionnel. En s’appuyant sur les responsabilités fondamentales exposées dans la Déclaration, d’autres documents peuvent fournir des directives à la fois plus détaillées et plus locales en matière de conduite dans la recherche.

La Déclaration recense tout d’abord quatre principes essentiels. Le principe d’honnêteté dans tous les aspects de la recherche implique la présentation fidèle de tout travail de recherche. Ce principe est violé à travers certaines des pires formes d’inconduite, à savoir la fabrication de résultats de recherche, la falsification des données ou des conclusions de recherche et le plagiat – toutes synonymes de malhonnêteté et de fausse déclaration. Le principe de conduite responsable de la recherche signifie que les scientifiques doivent assumer la responsabilité de toutes leurs contributions à la recherche. La courtoisie et la loyauté dans les relations de travail jouent un rôle important pour garantir un environnement respectueux et collégial dans la recherche et des récompenses appropriées pour des idées pertinentes et un bon travail. La bonne gestion de la recherche pour le compte d’un tiers reconnaît la dette des scientifiques à l’égard des sources de financement privées et publiques qui appuient leurs recherches. Cette série de principes promeut la conduite responsable de la recherche de multiples manières, dont certaines se recoupent.

Le reste de la Déclaration de Singapour est constitué de quatorze responsabilités qui incombent aux chercheurs pour assurer l’intégrité de la recherche. La première, sobrement nommée « intégrité », indique que les chercheurs doivent être responsables de la fiabilité de leur recherche. En anglais, le concept d’intégrité réunit caractère absolu et complétude ; la recherche respecte l’intégrité si elle est absolue et complète (c’est-à-dire sans manquement) sur le plan éthique. Comme indiqué précédemment, ce concept est difficilement traduisible dans certaines langues, et la Déclaration présente donc la fiabilité comme un critère permettant de juger de l’intégrité de la recherche.

Les autres responsabilités relèvent des catégories suivantes : le processus de recherche (respect des règlements, responsabilités liées aux méthodes, à la conservation des données et aux résultats), la publication (qualité d’auteur, remerciements et évaluation par les pairs), la divulgation (de conflits d'intérêts et dans les communications vers le public), le traitement des manquements à l’intégrité (signalements et réponses), l’environnement de la recherche et les incidences sur la société.

Points d'accord et de désaccord

La Déclaration de Singapour a pour but de présenter les points essentiels qui font l’objet d’un consensus global. Étant donné cet accord général, la Déclaration n’aurait nul besoin d’être promue si tous les chercheurs se conformaient déjà aux responsabilités qu’elle décrit. Cependant, il est manifeste que certains chercheurs violent parfois des règles fondamentales et, plus souvent encore, se conduisent d’une manière irresponsable, susceptible de compromettre l’intégrité des travaux scientifiques. De tels comportements sont souvent qualifiés de « pratiques contestables » et, si ces dernières sont rarement révélées, elles peuvent néanmoins avoir un effet cumulatif non négligeable sur la science.

Prenons le cas du plagiat, qui viole chacun des quatre principes de la Déclaration ainsi que la responsabilité de faire figurer des remerciements dans les publications. Il suffirait pour éviter le plagiat d’accorder aux auteurs d’origine le crédit qui leur est dû lors de l’utilisation de leurs idées ou mots, en citant les sources originales et en mettant entre guillemets les citations directes. Les plagiaires, lorsqu’ils sont démasqués, défendent leur comportement en évoquant des usages locaux ou disciplinaires qui autorisent l’utilisation du texte d’autrui sans témoignage direct de reconnaissance, ou en faisant valoir que les descriptions méthodologiques peuvent être utilisées dans plus d’une publication sans faire l’objet d’une note, ou en mentionnant les difficultés auxquelles sont confrontés les chercheurs issus de pays non anglophones lors de la préparation de manuscrits pour des revues en langue anglaise. Aucun de ces arguments n’excuse le plagiat, et aucun ne permettrait d’absoudre un chercheur accusé de plagiat. Le fait que ces arguments soient parfois avancés suggère que la communauté scientifique mondiale doit réaffirmer que le plagiat est condamnable et ne peut être excusé par ces motifs.

La réaction à adopter face à l’inconduite fait également l’objet de désaccords. L’intégrité de la science dépend en partie de l’intolérance des chercheurs à l’égard des manquements de leurs confrères, il est donc essentiel que les pratiques irresponsables soient signalées et stoppées. Les désaccords portent sur la façon dont les conduites répréhensibles doivent être traitées. La Déclaration de Singapour exhorte les chercheurs à signaler les conduites irresponsables et les organismes à mettre en place des procédures pour protéger ceux qui portent en toute bonne foi des allégations d’inconduite scientifique.

En s’appuyant sur les principes et responsabilités de la Déclaration, les organismes nationaux et transnationaux peuvent mettre au point des orientations plus spécifiques afin de parvenir à un consensus sur les points de désaccord, les différentes activités pratiquées par les chercheurs dans le cadre de leurs travaux de recherche et les différentes stratégies visant à prévenir tout manquement à la conduite responsable de la recherche.

Le résultat attendu de tous les efforts visant à promouvoir l’intégrité de la recherche doit être la garantie de la fiabilité des résultats scientifiques. Les incertitudes inhérentes à la démarche scientifique sont tolérées et prises en compte à travers les mécanismes du processus scientifique. L’ambiguïté et l’erreur qui sont le résultat d’une conduite irresponsable ne sauraient être tolérées.

Références

ALLEA. 2011. European Code for Conduct on Research Integrity. European Federation of National Academies of Sciences and Humanities, Amsterdam, Netherlands.
http://www.allea.org/Content/ALLEA/Scientific%20Integrity/Code_Conduct_ResearchIntegrity.pdf

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http://www.wcri2010.org/index.asp

BBC. 2005. S Korea stem cell success 'faked'. BBC News website. 15 December.
http://news.bbc.co.uk/1/hi/world/asia-pacific/4532128.stm

Boesz, C.C. and Fischer, P.L. 2011. International cooperation to ensure research integrity. In: Anderson, M.S., and Steneck, N.H. (Eds). International Research Collaborations: Much to be Gained, Many Ways to Get in Trouble. Routledge, New York, USA.

Borrell, B. 2007. A fluctuating reality: accused of fraud, Anders Pape Møller has traveled from superstar evolutionary biologist to pariah. The Scientist 21(1): 26, 1.
http://www.jorgenrabol.dk/files/thescientist1.pdf.

Horton, R. 2006. Retraction — Non-steroidal anti-inflammatory drugs and the risk of oral cancer: a nested case-control study. The Lancet 367 (9508): 382.http://www.thelancet.com/journals/lancet/article/PIIS0140-6736%2806%2968120-8/fulltext

Interlandi, J. 2006. An Unwelcome Discovery. New York Times, 22 October.
http://www.nytimes.com/2006/10/22/magazine/22sciencefraud.html

Mayer, T. and Steneck, N. (Eds). 2007. Final Report to ESF and ORI First World Conference on Research Integrity: Fostering Responsible Research. Lisbon, Portugal, 16-19 September 2007. European Science Foundation, Strasbourg, France.
http://www.esf.org/index.php?eID=tx_nawsecuredl&u=0&file=fileadmin/be_user/activities/research_conferences/Docs_NEW/2007/2007-242_Official_%20Final_Conference_Report.pdf&t=1311084921&hash=6ae5e054c6b02999dfa54b9066e98ace

Normile, D. 2001. Japanese fraud highlights media-driven research ethic. Science 291: 34-35.
http://www.sciencemag.org/content/291/5501/34.short

OECD. 2007. Best Practices for Ensuring Scientific Integrity and Preventing Misconduct. OECD Global Science Forum. Organisation for Economic Co-operation and Development, Paris, France.
http://www.oecd.org/dataoecd/37/17/40188303.pdf

OECD. 2009. Investigating Research Misconduct Allegations in International Collaborative Research Projects. A Practical Guide. OECD Global Science Forum. Organisation for Economic Co-operation and Development, Paris, France.
http://www.oecd.org/dataoecd/42/34/42770261.pdf

Singapore Statement on Research Integrity. 2011. 2nd World Conference on Research Integrity.
http://www.singaporestatement.org.

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