Knowledge for Development

Systèmes d’innovation au service du développement agricole et rural

Author: Tesfaye Beshah, Post Doctoral Fellow, International Livestock Research Institute

Date: 30/06/2009

Introduction:

Les systèmes d’innovation (SI) ont inspiré de nombreuses publications, notamment dans les pays industrialisés et, plus récemment, dans le monde en développement. Toutefois, à quelques exceptions près, la littérature dédiée aux SI n’explique pas de manière appropriée comment utiliser l’approche systémique pour améliorer l’innovation ou comment initier et faciliter les SI. Par ailleurs, si l’innovation elle-même semble avoir été suffisamment étudiée, son intégration dans un système qui, à son tour, opère dans certains contextes institutionnels et politiques, n’a pas été approfondie. Si l’on reconnaît l’importance de l’innovation pour le développement économique, le mécanisme systémique qui peut aider à renforcer la dynamique d’innovation ne fait pas l’objet d’une attention similaire. Ces zones d’ombre, entres autres, ne permettent pas de juger de la pertinence du concept de SI et, dans le pire des cas, tendent à remettre en cause ses potentialités pour la recherche et le développement.


 

2. Système d’innovation : mode d’emploi

2.1 Qu’est-ce qu’un système d’innovation ?

D’après la définition de la Banque mondiale (2007), un système d’innovation est un réseau d’organisations dont les activités consistent à créer de nouveaux procédés et de nouvelles formes d’organisation qui seront ensuite utilisés tant sur le plan social qu’économique, en collaboration avec des institutions et des politiques qui affectent leur comportement et leurs performances. On s’accorde généralement à reconnaître que le concept contemporain d’innovation ne se limite pas à la technologie ou à l’invention de nouveaux produits. L’innovation réfère également au processus par lequel les connaissances sont générées, puisées dans différentes sources et mises en pratique. Par conséquent, l’innovation peut tout autant être synonyme de création et de nouveautés importantes sur le plan social et économique que d’améliorations en termes de performances techniques et managériales, mais aussi au niveau institutionnel et politique (Smits, 2002; Hall et al., 2004).

Malgré des perspectives prometteuses pour la promotion des systèmes d’innovation à travers le monde, il subsiste des zones d’ombre quant à leur application. Le problème majeur se pose lorsque l’innovation ne cadre pas avec les concepts du système qui permettent de définir son architecture opérationnelle. Cette incompatibilité est non seulement dominante parmi les organisations publiques, mais aussi parmi celles du secteur privé, les ONG et les organisations internationales. A quelques exceptions près, l’innovation, les systèmes d’innovation et les concepts qui s’y rapportent sont traités de manière approximative dans les programmes universitaires et les programmes de formation dispensés par les centres intermédiaires. Si ces organisations avaient été en mesure de remédier à cette lacune, il aurait été possible d’en faire beaucoup plus pour promouvoir cette idée. La pensée systémique peut nous donner les moyens de repenser les paradigmes des sciences et du développement.

Un système d’innovation est conçu comme un système social facilité par des acteurs humains. Selon l’approche systémique, développée dans les années 1980 et inspirée par les travaux de Checkland et de ses collègues, un système est une définition mutuellement convenue ou une multiplicité d’entités exerçant des fonctions spécifiques. Cette dénomination de « système » est due à sa structure organisationnelle, laquelle définit son mode d’organisation (Checkland, 1993, Senge et al., 1994). Les caractéristiques essentielles – et de ce fait les fonctions – de cette structure se fondent sur ses modes d’organisation (Capra, 1997; 2002). Ces derniers sont définis par un ensemble de liens existant entre les diverses composantes d’un système. Dans le cadre de la conception d’un système, il faut en un mot tenir compte des aspects suivants : les rôles et les aspirations des différents acteurs, la structure des incitations au changement d’habitudes et de pratiques, les types d’interaction pour la communication au sein des nœuds ainsi que les processus décisionnels.

Dans le domaine du développement agricole et rural, un système d’innovation pourrait mobiliser un ensemble varié d’intervenants, comme par exemple le milieu scientifique, les services de vulgarisation, les agriculteurs, les ONG, le secteur privé, les organismes parapublics, ainsi que les coopératives et autres organisations communautaires. Les systèmes d’innovation spécifiques, pour la production laitière et fourragère par exemple, pourraient être définis par des modes d’organisation adaptés à ces filières, en ce sens que chaque configuration est unique. Cela ne signifie pas, toutefois, qu’il n’est pas possible de partager les principes génériques sur la manière d’établir un système comparable dans un autre domaine au sein de son propre contexte (Tesfaye, 2008).

Comme l’indique la définition récente de la Banque mondiale, les systèmes d’innovation s’inscrivent dans un contexte institutionnel et politique dans le but de susciter des changements de comportement et d’améliorer les performances. Toutes ces initiatives ne sont pas uniquement le fait des organisations individuelles au sein du réseau. Elles se réfèrent également aux organisations du système, caractérisé par des modes d’organisation auxquels s’apparentent les acteurs impliqués. De surcroît, un système d’innovation digne de ce nom met en exergue la capacité d’innovation [1] au niveau du système plutôt que les capacités isolées de chaque organisation qui le compose (Hall, 2005). Il s’avère donc nécessaire de changer de paradigme pour la R&D et de s’intéresser à l’agriculture et au développement rural selon une approche de système d’innovations qui puisse reposer sur son architecture opérationnelle, c’est-à-dire le lien existant entre la structure et le mode d’organisation (voir ci-dessus), souvent implicites dans la littérature sur les SI.

Un système est à la fois influencé par son environnement externe et piloté en interne. Les changements qui influent à leur tour sur le processus de transformation sont toutefois déterminés par la dynamique interne du système, autrement dit le processus, dans lequel la structure et les modes d’organisation sont étroitement liés (Capra, 2002). De ce fait, l’utilisation de l’approche basée sur les systèmes d’innovation nécessite que l’on sache quels seront les acteurs à impliquer, si l’intention est de créer un système d’innovation dans un but bien précis, et quel sera le processus à adopter pour faciliter ce système. Il est à noter que le processus vise à développer les modes d’organisation de ce système. Certains modes seront établis dès le début au moment de l’élaboration du système, alors que d’autres émergeront au cours du processus d’apprentissage. Il convient par conséquent de recourir à une méthode inductive d’apprentissage s’appuyant sur une approche flexible en termes de temps et d’autres ressources. L’objectif ultime étant bien sûr d’améliorer les capacités d’innovation du système (Hall et al., 2007) et de renforcer son autonomie.

Les modes d’organisation demeurent identiques quel que soit le système d’innovation. Ils se développent à travers des boucles de communication au niveau des différents nœuds pour garantir que les flux d’information circulent dans le système, mais aussi entre le système et son environnement. Ces boucles de communication aident par ailleurs à produire et à reproduire la logique du système pour aboutir à un ensemble de règles et de valeurs devant réguler le comportement des acteurs et orienter les types d’interaction avec l’environnement. Cette communication de type réseau tend à opérer comme un mécanisme auto-générateur (Capra, 2002) permettant d’assurer la continuité du système. Ainsi, l’apprentissage – et de ce fait l’innovation – peut s’exprimer à travers cette boucle continue de communication dans laquelle sont engagés tous les acteurs impliqués au sein du système d’innovation. Il faut bien souligner que les systèmes d’innovation sont des réseaux d’organisations « construits » organiquement. Ce lien organique est assuré aussi longtemps que les processus de communication continue et d’apprentissage progressent. Le manque ou l’absence de communication conduit à la dégradation du lien organique au sein du réseau et peut même entraîner l’échec du système et de l’innovation elle-même.

Le but ultime étant d’établir un cadre holistique impliquant tous les acteurs potentiels concernés, ce système doit effectivement opérer comme un instrument d’apprentissage. La réalisation de cet objectif est facilitée par la méthodologie douce des systèmes, conjuguée à une démarche de recherche-action (Salomon et Engel, 1997; Wilson et Morren, 1990; Checkland et Scholes, 1990).

2.2 Les nouveaux développements de la pensée systémique, de la recherche-action et des systèmes d’innovation

Au début des années 1980, la recherche systémique a mis en perspective deux approches majeures : les pensées systémiques « dures » et « molles ». Etant donné les racines biophysiques bien ancrées dans la première génération de la pensée systémique, la conceptualisation aura permis d’élaborer ce qui est aujourd’hui considéré comme un système dur, basé sur une représentation systémique, et construit des modèles pour représenter le monde dans le but de l’optimiser. L’approche systémique molle, au contraire, crée le processus d’enquête comme un système, au plan épistémologique. L’objectif de la méthodologie douce des systèmes n’est pas de générer des connaissances pour nous permettre de présager de la nature de la réalité du monde (ontologie) mais plutôt de mieux comprendre la réalité à travers des actes intentionnels, ce qui implique un processus de négociation, de consensus et d’adaptation (Checkland et Scholes, 1990; Bawden, 1995; Roling, 1997; Salomon et Engel, 1997)

La méthodologie douce des systèmes [2], qui s’identifie par ailleurs à la méthodologie dure des systèmes, est particulièrement appropriée pour les systèmes d’innovation. Elle est compatible avec les caractéristiques spécifiques d’un système d’innovation, comme la complexité et l’implication des réseaux d’acteurs – les organisations – auxquels sont attachées des valeurs, des habitudes et des pratiques différentes, qui varient géographiquement et n’ont pas accès de la même façon aux ressources, aux connaissances et au pouvoir.

Introduite au cours de la première moitié du 20ème siècle, la recherche-action prend sa source dans les travaux de Kurt Lewin (1946) (Melrose, 2001). La recherche-action est davantage une approche qu’une méthodologie, en ce sens qu’elle intègre des méthodes d’inspiration qualitative et quantitative. Simplement définie, la recherche-action consiste à mettre en place une action et à étudier celle-ci à mesure qu’elle évolue (Bargal, 2008). La démarche de recherche-action permet d’améliorer les perspectives d’apprentissage à la différence de l’apprentissage par l’action, qui appartient à une famille d’approches participatives.

A quelques exceptions près, (Checkland et Scholes, 1990; Checkland, 1993; Salomon et Engel, 1997), les similitudes existantes entre la méthodologie douce des systèmes et le cadre de recherche-action ne sont guère explicites dans la plupart des ouvrages sur le sujet. Du double point de vue ontologique et épistémologique, la méthodologie douce des systèmes et la recherche-action relèvent de la même logique. Il est donc facile d’opérationnaliser la notion de système d’innovation à travers une stratégie de recherche-action largement reconnue, elle-même guidée par la méthodologie douce des systèmes (Tesfaye, 2008).

2.3 Comment initier un SI pour l’agriculture et le développement rural

L’innovation repose sur une approche systémique dans le mesure où elle met en perspective des dimensions variées qui sont développées par différents acteurs. Elle englobe également dans sa dynamique des artefacts institutionnels, politiques et technologiques, des questions d’ordre économique et des aspects managériaux. Cependant, les perspectives d’un système, eu égard aux sous-systèmes et à l’environnement au sein desquels il évolue, varient en fonction de la situation. Même si différents systèmes sont liés les uns aux autres, il n’est pas toujours possible (ni d’ailleurs souhaitable) de réunir d’emblée l’ensemble des acteurs concernés dans un tel système d’innovation.

Quoi qu’il en soit, les facilitateurs de SI devront savoir appréhender le contexte d’un système d’innovation spécifique. Par exemple, dans le domaine de la production fourragère, les acteurs susceptibles de contribuer à la dynamique de la filière devront être encouragés à participer au système d’innovation pour la production de fourrage. Il est même très important que le fourrage – ou tout autre option technique relevant de la filière – ne soit pas une composante indépendante du système, mais qu’il (ou qu’elle) soit intégré(e) dans l’environnement institutionnel, politique, socioéconomique et technique au sein duquel plusieurs acteurs exercent leur rôle (Hall et al., 2007). Cette observation fondée sur le bon sens étaye solidement la perspective selon laquelle un système d’innovation peut organiser et gérer toutes sortes d’activités liées au développement. Par ailleurs, un système d’innovation facilite le contexte dans lequel les avancées technologiques peuvent être mises à profit. Cela implique la participation des acteurs directement concernés, le cas échéant, plutôt que d’impliquer tous les acteurs à la fois. Cette approche permet de minimiser l’occurrence des problèmes de seconde génération, à savoir notamment l’absence de segments de marchés particuliers pour les produits, les difficultés d’accès pour la transformation des produits, les politiques d’austérité et les institutions restrictives, lesquels pourront être intériorisés à travers l’implication d’une multitude d’acteurs.

Dans la pratique, il est possible que tous les acteurs gravitant autour d’un projet de système d’innovation pour la production de cultures fourragères n’y soient pas impliqués d’emblée alors que d’autres peuvent être encouragés à prendre part à l’initiative dès le début (d’après mon expérience personnelle [3] dans le projet FIP-II, en Inde). Toutefois, contrairement au système biophysique, dans lequel l’absence d’une composante risquerait de compromettre le fonctionnement du système, il est tout à fait possible dans un système d’innovation de lancer le processus avec quelques acteurs clés pour ensuite le renforcer à mesure que le réseau s’étend et évolue, et ce jusqu’à ce que tous les acteurs potentiels y soient impliqués. Il n’en demeure pas moins que si les acteurs initiaux ne disposent ni de pouvoir ni de ressources, le processus peut être lent au commencement mais aboutira à des résultats très encourageants tant qu’il fera l’objet d’une facilitation adéquate.

Le cadre d’un système d’innovation peut par ailleurs être utilisé pour organiser un dispositif de concertation entre acteurs afin de promouvoir les activités de diversification non agricole dans les programmes de développement rural, ainsi que les initiatives tenant compte de la dimension hommes-femmes et les autres activités humaines de même type. Il convient à cet effet d’identifier les acteurs affichant des objectifs communs et de faciliter le processus d’apprentissage à travers une démarche de recherche-action. Comme indiqué précédemment, les acteurs n’ayant a priori aucun intérêt commun ne communiquent pour ainsi dire pas et, de ce fait, n’échangent aucune information ni ressources pour faciliter le processus d’innovation. Il apparaît donc inévitable de créer les conditions permettant de forger des partenariats capables de recueillir toutes les contributions potentielles (cf. recherche-action).

Si le parcours visant à initier et à faciliter un système d’innovation est semé de doutes et d’embûches, il est toujours possible d’utiliser différents concepts, outils et techniques pour faire face à cette situation complexe (Hall et al, 2007) [4]. Quelques lignes directrices initiales sont présentées dans l’encadré 1.

Encadré 1 : Quelques recommandations utiles concernant la mise en place et la facilitation des systèmes d’innovation

1. Mise en route

  • Bien appréhender les micro et macro-environnements du domaine d’intervention souhaité, de la région et du pays (à travers notamment la collecte et l’analyse des données secondaires). L’accent est mis sur le paysage politique et institutionnel, et sur les environnements socioéconomique, politique et biophysique.
  • Etudier la densité et la culture organisationnelle des organisations clés (il s’agit, plus communément, d’effectuer l’analyse des parties prenantes).
  • Organiser des ateliers de sensibilisation pour travailler en collaboration avec des partenaires potentiels.

2. Identifier les organisations « championnes » afin d’initier le réseau (qui est intéressé et qui souhaite s’aligner sur l’objectif affiché par ces initiatives)

3. Identifier les problèmes de base ou les points d’entrée – qui peuvent changer au cours des interactions entre acteurs et apprentissage. Il est toutefois nécessaire d’identifier au moins un problème de base en tant qu’outil d’apprentissage dès le départ.

4. Enquête socioéconomique : Les informations tirées de l’analyse de ces données devront être utilisées comme outil d’apprentissage pour assurer le suivi des impacts. Les changements apportés au processus de recherche-action feront l’objet d’un suivi par le biais de mécanismes de contrôle et d’apprentissage qu’il conviendra d’élaborer, en fonction de la nature des modes d’organisation d’un système donné. Ces informations pourront également être utilisées pour créer un lien occasionnel plausible pendant le processus.

5. Effectuer un diagnostic approfondi du système d’innovation identifié

  • Les acteurs (organisations) et leur(s) domaine(s) d’intervention
  • Les habitudes et les pratiques des organisations
  • Les schémas d’interaction parmi les organisations
  • Les environnements institutionnels et politiques influençant les fonctions des acteurs.

6. Planifier et articuler le processus de recherche-action autour de la problématique de base.

7. Elaborer et mettre en œuvre un système de suivi et d’apprentissage.

8. Mener une réflexion périodique concernant les objectifs d’apprentissage sur la base du système de suivi et d’apprentissage. Le suivi met l’accent sur les habitudes et les pratiques du réseau, l’apprentissage aux niveaux individuel et organisationnel, les différents types d’interaction au sein du réseau et de l’environnement dans lequel il évolue.

9. Redéfinir les acteurs et les actions le cas échéant, y compris les interactions avec les décideurs à travers différents moyens.

10. Consolider les leçons apprises et appliquer les expériences à un autre domaine ou au même domaine.

A noter que certaines des activités susmentionnées font semble-t-il double emploi et qu’elles sont plutôt récursives que ponctuelles et autonomes. Un rapport articulé autour de ces questions devra être élaboré en collaboration avec les parties prenantes.

3. Systèmes d’innovation et initiatives au service des pauvres

Les initiatives au service des pauvres reflètent des choix d’orientations politiques majeures au sein des organisations internationales et publiques. Toutefois, peu d’options se dégagent pour adapter ces orientations aux besoins des populations démunies. Les pauvres sont souvent marginalisés et exclus du processus d’innovation faute d’un environnement propice. Que peuvent-ils espérer des perspectives offertes par les systèmes d’innovation ?

L’émergence d’un environnement propice aux ruraux pauvres requiert la mobilisation de connaissances et d’autres ressources au travers de réseaux d’organisations en vue d’améliorer la performance économique des exploitations agricoles. Au vu des performances médiocres des différentes initiatives mises en place au cours de ces soixante dernières années, cette tâche s’annonce pour le moins ardue si elle continue d’être assurée par des organisations individuelles ou en partenariat restreint. Il s’agit d’un domaine auquel les donateurs internationaux devraient prêter attention et pour lequel une approche novatrice, à l’instar d’un système d’innovation pour la réduction de la pauvreté, pourrait être envisagée.

Les efforts déployés pour impliquer les acteurs concernés dans la conception des systèmes d’innovation soulèvent évidemment un certain nombre de défis qui se posent pour accommoder les valeurs exprimées non seulement par les couches sociales aisées, plus à même de tirer parti des opportunités qui surviennent, mais aussi par les petits exploitants pauvres qu’il faut rendre plus aptes à négocier au mieux leurs intérêts. Cela permet d’expliciter la question de l’exercice du pouvoir dans la gestion des réseaux sociaux, un défi à relever pour les facilitateurs de SI (Kristjanson et al., 2009).

Etant donné que l’innovation résulte de l’interaction entre différents acteurs et facteurs, les systèmes d’innovation sont des mécanismes particulièrement utiles dans la lutte contre la pauvreté. La convergence des multiples facteurs induisant l’innovation (par exemple, l’accès à l’information, aux marchés, au financement, aux actions collectives et aux changements institutionnels) peut être appréciée à travers les réseaux d’acteurs initiés dans le système d’innovation. Si les initiatives pro-pauvres étaient facilitées par un système d’innovation, l’interaction de tous ces facteurs pourrait largement contribuer à réduire la pauvreté.

Un système d’innovation doit pouvoir générer de l’information, gérer les conflits, susciter la confiance, faciliter l’accès aux intrants techniques et à d’autres ressources tout en restant attentif aux plus démunis. Ces aspects sont d’autant plus importants qu’ils sont favorables à une réduction de la pauvreté. L’absence d’efforts explicites n’inspirerait qu’un attachement de pure forme à la cause des plus démunis et n’apporterait pas les réponses appropriées aux besoins de ces populations.

Le but ultime d’un système d’innovation associé aux initiatives pro-pauvres consiste à renforcer la capacité d’innovation des plus démunis pour leur permettre d’améliorer leurs stratégies d’adaptation en faveur de moyens de subsistance durables (Banque mondiale, 2007). Face à la complexité croissante des processus de production, conjuguée à la baisse des ressources physiques disponibles (dégradation des terres, pénurie d’eau), l’augmentation de la demande de connaissances est inévitable pour assurer les moyens de subsistance des populations. L’objectif stratégique d’un système d’innovation vise de ce fait à asseoir un développement de grande envergure.

4. Quelques précautions inhérentes à l’utilisation du concept de système d’innovation

Bien qu’elle ne soit pas la panacée à elle seule, la perspective des systèmes d’innovation est utile lorsqu’une question ou un problème de fond implique une multitude d’acteurs ayant un rôle complémentaire et une volonté commune d’atteindre les objectifs fixés. Dans la mesure où le concept évolue au fil des nouvelles tendances et qu’il n’a pas suscité l’attention adéquate des principales organisations et parties prenantes, il en résulte une confusion certaine à différents niveaux. Il est nécessaire à cet égard de soulever deux questions concernant la nature complexe des systèmes d’innovation.

Un système d’innovation apporte-t-il des solutions rapides [5] ? La perspective des systèmes d’innovation facilite la remontée de l’information mais ne fournit pas nécessairement de solutions rapides. Cette situation s’explique par le fait qu’un système d’innovation implique des collaborations multi-partenariales au sein des réseaux de communication dans le but de faciliter l’innovation. Etant donné que la plupart des acteurs (ou les acteurs souhaités dans ce système) seraient rassemblés au sein du réseau, le système d’innovation doit permettre une remontée d’information instantanée. Toutefois, dans la mesure où un système d’innovation implique la participation de multiples parties prenantes, en vue de parvenir à des solutions avantageuses pour tous et même de définir le problème de base, la mise en place de solutions pourrait prendre plus de temps que prévu. Quoi qu’il en soit, les solutions offertes par un système d’innovation ne devront pas seulement être mesurées une fois le produit ou le matériel final élaboré. Le renforcement des capacités des acteurs et du système dans son ensemble – résultat consécutif au processus d’apprentissage – et l’utilisation des enseignement tirés de cette expérience pour préparer l’avenir devront être pris en considération. Néanmoins, il s’agit pour l’heure de renforcer les capacités matérielles plutôt que multi-dimensionnelles, en mettant notamment l’accent sur les connaissances. A ce titre, un changement de paradigme s’impose désormais parmi les organismes donateurs internationaux et les communautés de recherche et de développement.

En ce qui concerne le rôle de la science et des chercheurs dans un système d’innovation, il est à noter que des fonds publics internationaux ont été mobilisés pour financer un réseau mondial de sciences agricoles et disciplines connexes, sans parler des activités de S&T qui ont été mises en œuvre par des Etats-nations et qui sont financées avec l’argent du contribuable, par des subventions et des prêts contractés dans le cadre d’arrangements bilatéraux et multilatéraux. L’approche basée sur les systèmes d’innovation est précieuse en termes de valeur ajoutée, en ce sens qu’elle permet de créer un contexte légitime à l’augmentation de la demande pour la recherche scientifique de pointe et à la génération de nouveaux types de connaissances. Renforcer les capacités d’innovation du système implique que différents acteurs au sein du système s’orientent vers des branches d’activité à forte concentration de connaissances regroupant des unités de production et de transformation d’aliments et de fibres, ainsi que des services, qui élargissent les possibilités offertes à la science et aux chercheurs. Par conséquent, les systèmes d’innovation ne sont pas simplement des principes applicables aux actions des chercheurs et praticiens sociaux ayant adopté un mode de pensée systémique. Ces systèmes visent plutôt à mobiliser et à regrouper l’ensemble des acteurs, des chercheurs aux décideurs en passant par les utilisateurs finals, sur une même plate-forme d’apprentissage. Il est donc essentiel de décrire le système d’innovation dans toutes ses dimensions et de créer un vaste environnement qui générera vraisemblablement une demande accrue de connaissances scientifiques et facilitera leur utilisation.

5. Conclusion

L’objectif était d’analyser les raisons du décalage existant entre l’importance accordée à l’innovation pour le développement économique et l’application des SI sur le terrain. S’appuyant sur la théorie des systèmes, ce document a présenté l’architecture d’un système d’innovation en précisant sa structure générale et son mode de fonctionnement. Le fonctionnement d’un système repose principalement sur ses modes d’organisation, articulés autour des composantes et procédures opérationnelles de base qui définissent ses caractéristiques. Les modes d’organisation peuvent changer à mesure que leurs fonctions évoluent avec l’apprentissage. Ils représentent la force vive du système et incluent les rôles des différents acteurs, les mesures d’incitation, les types d’interaction et les processus décisionnels. Les boucles de communication au sein des différents nœuds du système permettent de soutenir et de stimuler l’apprentissage. C’est donc à travers le processus de communication que s’organise le système au sein du réseau dans le but de stimuler l’innovation.

Compte tenu des similitudes existantes entre la méthodologie douce des systèmes et la recherche-action, le concept de système d’innovation peut être opérationnalisé à travers un cadre de recherche-action qui sera guidé par la méthodologie douce des systèmes. Un SI pourra ainsi être organisé pour différents types d’activités humaines. Le document présente à ce titre un certain nombre de recommandations basées sur des expériences de terrain concernant la manière d’initier et de faciliter un SI.

L’approche basée sur les systèmes d’innovation permet de cerner des phénomènes complexes et donc de fédérer les initiatives en faveur des plus démunis. Les organisations internationales et les donateurs devront par conséquent accorder une attention plus soutenue à la promotion des systèmes d’innovation au service du développement.

Enfin, il a été établi qu’un système d’innovation ne détient pas la panacée. S’il n’apporte pas nécessairement de solutions rapides, un système d’innovation facilite toutefois la remontée de l’information et contribue au développement de capacités non matérielles. De plus, un système d’innovation est inclusif et peut être utilisé de façon optimale pour répondre à une demande accrue en matière d’initiatives à forte concentration de connaissances, auxquelles la science et les chercheurs contribueront largement en apprenant avec les autres acteurs.

Footnotes

  1. Selon Hall et al. (2007), la capacité d’innovation se réfère aux compétences et aux connaissances que possèdent les individus, les organisations et les institutions, aux types d’interaction et aux politiques qui ont été mises en place et qui permet de renforcer les processus de connaissances – de leur génération jusqu’à leur utilisation.
  2. La littérature sur les SI ne fait aucune distinction entre systèmes « durs » et systèmes « souples », ce qui à mon sens génère un manque de communication entre les experts techniques et ceux qui soutiennent le concept de SI, lesquels ont souvent recours à l’approche des systèmes d’exploitation agricoles, qui est essentiellement un système dur.
  3. Depuis janvier 2008, je participe en tant que chercheur post-doctoral (ILRI) au projet d’innovation pour la production de cultures fourragères (FIP) en Inde.
  4. Les résultats empiriques issus de l’application d’un cadre conceptuel sur les SI concernant le projet d’innovation pour la production de cultures fourragères en Inde et au Nigeria sont attendus pour la fin de l’année 2009. Pour faire le point sur l’état d’avancement du projet, consultez le site www.fodderinnovation.org
  5. Certains praticiens tentent d’assimiler cette implication au rythme de transfert de technologie.

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