L’enseignement et la formation en sciences et technologies alimentaires pour renforcer la sécurité alimentaire dans les pays en développement
Donald G. Mercer1, Obadina O. Adewale2 et Daryl B. Lund3
(1) Département des sciences alimentaires, Université de Guelph, Ontario, Canada; (2) Département des sciences et technologies alimentaires, Université fédérale d’agriculture, Abeokuta, Nigeria; (3)Professeur émérite, Université du Wisconsin à Madison, États-Unis
Introduction
En Afrique sub-saharienne, la population a augmenté à un taux annuel moyen de 2,7 % en 2013 (Banque mondiale, 2013), contre 0,7 % la même année aux États-Unis (Banque mondiale, 2015). En 2014, la croissance démographique a atteint un taux annuel de 2,8 % au Nigeria et de 3,9 % au Niger (Banque mondiale, 2015). Dans le même temps, les économies de nombreux pays africains ont affiché un taux de croissance annualisé proche de 4 % et l’urbanisation ainsi que l’espérance de vie n’ont cessé d’augmenter.
Ces tendances ont généré de nouvelles pressions, notamment pour assurer la sécurité alimentaire, et ont renforcé la nécessité de rendre le secteur agroalimentaire plus productif, plus diversifié et plus compétitif.
En 2008, une mission de trois semaines au Malawi a permis d’identifier les défis auxquels sont habituellement confrontés les acteurs du secteur agro-alimentaire. Les problèmes identifiés sont, entre autres, les suivants : un enseignement et une formation inadaptés, des technologies locales peu développées et une main-d’œuvre insuffisamment formée, ne disposant pas des compétences requises face à la complexité des systèmes modernes de transformation agroalimentaire.
Les transformateurs agroalimentaires souffrent bien souvent d’un manque de savoir-faire dans le développement de produits, ce qui peut limiter leur capacité à diversifier leurs activités. L’insuffisance des ressources et les équipements obsolètes ou inadaptés restreignent la capacité à fabriquer des produits de qualité de manière efficace et rentable. Une mauvaise compréhension des opérations de transformation peut également donner lieu à l’utilisation d’équipements ou de procédures inadaptés (Mercer, 2009). Des situations similaires ont été observées lors d’une évaluation des besoins réalisée en 2010 visant à identifier les possibilités de réaménagement du programme éducatif au Collège Kihonda de Morogoro, en Tanzanie (Mercer et al., 2010). Dans cet article de fond, le Nigeria sert de base pour illustrer des situations typiques, ainsi que les tendances et les mesures prises pour y remédier.
L’industrie alimentaire nigérienne
Au Nigeria, la plupart des industries alimentaires de grande échelle sont situées dans les principaux centres commerciaux de l’État d’Ogun, de Lagos, d’Abuja, d’Ibadan, de Port Harcourt, etc. Les sociétés et les principaux produits qu’elles fabriquent sont répertoriés dans le tableau 1.
Sociétés | Principaux produits |
Nestlé Nigeria PLC Cadbury UAC Foods Leventis Nigeria PLC Nigeria Breweries PLC Nigeria Bottling Company PLC Guinness Nigeria PLC Flour Mills of Nigeria Dangote Flour Mills PLC Dangote Foods | Milo, Maggi, eau Nestlé, etc. Bournvita, Tom-Tom, boissons chocolatées, etc. Crème glacée, pâtisseries, biscuits, etc. Pain, collations, biscuits, etc. Bière, boissons maltées, boissons énergétiques, etc. Coca Cola, Sprite, Fanta, etc. Bière, boissons maltées, boissons énergétiques, etc. Farine de blé, semoule, sucre, etc. Farine de blé, semoule Produits à base de jus, sucre, sel, etc. |
Leur personnel suit généralement une formation dans le cadre d’études à temps partiel dans les universités ou les écoles polytechniques. La plupart des entreprises font appel à des consultants pour assurer la formation interne, qui est organisée par leurs services des ressources humaines et qui se centre souvent sur les cadres supérieurs, plutôt que de cibler le personnel dans tous les aspects de leurs activités. Seulement un quart des entreprises nigériennes de transformation agroalimentaire dispensent une formation sur site à leurs employés. Cette situation crée un vide dans la formation des employés qui ne peuvent pas s’offrir ou accéder à une formation dépassant les rudiments requis pour accomplir leurs tâches spécifiques.
Actuellement, il y a plus de diplômés en sciences et technologies alimentaires au Nigeria que ce que l’industrie alimentaire embauche. De nombreuses personnes qualifiées s’orientent donc vers des domaines non-alimentaires tels que les services bancaires. Face à la tendance croissante d’automatisation dans l’industrie, le nombre de diplômés diminue. Davantage de travailleurs occasionnels non-diplômés sont employés et sont moins bien rémunérés.
Perfectionnement professionnel en sciences et sécurité alimentaires par l’IUFoST
L’Union internationale de science et technologie alimentaires (IUFoST) a enjoint les scientifiques alimentaires internationaux à participer à un centre de ressources et de connaissances en ligne. Trois principaux domaines d’action ont été identifiés : 1) la sécurité alimentaire, (2) la sûreté alimentaire, et (3) l’enseignement et la formation, comprenant deux volets actuellement en cours de développement : (1) le programme de base en sciences et technologies alimentaires et (2) l’enseignement à distance. Vous trouverez plus d’informations sur chacun de ces programmes sur le site de l’IUFoST : www.iufost.org/Education-Training (cliquer sur « Distance Education »).
Institutions dispensant des formations en sciences et technologies alimentaires sanctionnées par un diplôme universitaire
Tous les cinq ans depuis 2003, l’IUFoST mène une enquête auprès des départements universitaires et des organismes adhérents (à savoir, des organisations nationales spécialisées dans les sciences et technologies alimentaires) afin d’identifier les formations sanctionnées par un diplôme universitaire proposées par les institutions accréditées. Les résultats peuvent être consultés sur la page : http://iufost.org/survey-results. Certaines formations aboutissent à la délivrance d’une attestation ou d’un diplôme universitaire sous réserve de réussite d’un cursus officiel. La plupart des programmes de licence en sciences et/ou technologies alimentaires enseignés dans les universités sondées d’Afrique sub-saharienne respectaient les lignes directrices de l’IFT (Institut américain des technologues alimentaires) ou de l’IUFoST (Minnaar et al., 2013). Or, les programmes dispensés par les universités dans les centres urbains ne répondent pas nécessairement aux besoins des travailleurs employés dans l’industrie alimentaire et ce, pour différentes raisons.
Formation continue
En 2002, l’IUFoST a identifié la mise en place d’un programme de formation pour les travailleurs de l’industrie alimentaire en Afrique sub-saharienne (ASS) comme une initiative majeure. Bien qu’initialement axé sur l’Afrique subsaharienne, ce programme n’est pas spécifique à un lieu précis et le contenu de chaque module peut être adapté de sorte à répondre aux besoins spécifiques de différentes régions.
Les cours dispensés de l’IUFoST visent à améliorer les compétences de base des travailleurs de l’industrie alimentaire grâce à toute une série de cours à distance, couvrant les fondamentaux dans les domaines suivants :
- Sécurité alimentaire
- Assurance qualité (dont l’analyse des dangers et points critiques pour leur maîtrise)
- Législation et règlementation sur les produits alimentaires
- Durée de conservation des produits alimentaires (y compris les pertes)
- Traitement thermique
- Déshydratation et lyophilisation des produits alimentaires
- Congélation des aliments
- Réfrigération des produits alimentaires
- Conditionnement des produits alimentaires
- Nutrition pratique
- Produits alimentaires peu transformés
Des experts en sciences alimentaires assurent la formation de petits groupes de participants issus des industries alimentaires locales à l’aide du matériel didactique mis à disposition sur le site Web de l’IUFoST. Pour la plupart des sujets étudiés, le matériel de formation mis à disposition propose un niveau débutant, intermédiaire et avancé. L’objectif principal est d’accroître le niveau de compréhension de la transformation ou de la production agroalimentaire.
Les formations universitaires classiques adoptent une approche « d’enseignement et de formation basés sur les connaissances ». Cette approche est principalement axée sur un apprentissage structuré s’appuyant sur des manuels de base qui mettent l’accent sur les principes théoriques et sur ce qui pourrait être assimilé à des activités intellectuelles favorisant une réflexion critique et indépendante. Elle est plus adaptée que l’approche « d’enseignement et de formation basés sur les compétences ». Les participants sont évalués sur leur capacité à appliquer des concepts élémentaires à leur vie quotidienne et à leur environnement de travail. Lorsqu’un produit quitte un processus, les relations de cause à effet sont mises en évidence pour illustrer les résultats des diverses actions entreprises.
Les premières formations pilotes ont débuté en 2009 et portaient sur la déshydratation et la lyophilisation des produits alimentaires à un niveau débutant et intermédiaire (Mercer et Lund, 2011). L’essai alpha du matériel a été réalisé en Éthiopie, au Kenya, au Nigeria, en Afrique du Sud et à l’Île Maurice, avec dix participants et sept mentors. Il a par la suite été élargi au Nigeria, avec un certain nombre de mentors issus d’autres pays ayant manifesté leur volonté de participer. La préparation du matériel prenait en compte que bon nombre de travailleurs de l’industrie alimentaire n’avaient pas fait d’études secondaires et que la plupart ne pouvaient pas aller à l’université, confrontés à la nécessité de conserver un emploi à temps plein. Une enquête sur les programmes de sciences et technologies alimentaires enseignés dans les universités africaines indique que la formation de vulgarisation non sanctionnée par un diplôme est insuffisante, et que l’enseignement sur la nutrition fait cruellement défaut (Minnaar et al., 2013).
Au Nigeria, près de 70 % des participants sont des femmes. Environ 60 % sont titulaires d’une licence ou d’un BTS/DUT, 30 % possèdent un baccalauréat, et les 10 % restants sont diplômés de l’enseignement secondaire : près de 50 % jouissent d’une certaine forme d’expérience en industrie. L’attention se focalise plus particulièrement sur les femmes entrepreneurs. L’accent mis sur le développement de la confiance en soi, les techniques de négociation et de marketing dans le cadre d’un apprentissage par la pratique s’est avéré très efficace pour l’évolution des femmes entrepreneurs dans l’industrie alimentaire tanzanienne (Spiess et al., 2013).
Ces chiffres sont intéressants. Le but initial du programme de l’IUFoST était de dispenser une formation de base aux travailleurs débutants, mais il s’avère que les titulaires de diplômes universitaires suivent ces cours pour accroître leurs chances de trouver un emploi. La « sécurité alimentaire » est actuellement le sujet le plus populaire.
La plupart des participants au module d’initiation à la déshydratation et à la lyophilisation ont estimé que les enseignements dispensés étaient excellents et que les travaux confiés étaient très précis. L’une des qualités du module de formation qui est ressortie était la pertinence du niveau auquel les travaux étaient dirigés. Mais surtout, tous les participants ont estimé que les informations données leur étaient d’une très grande utilité. Ils ont également apprécié les interventions des mentors au fur et à mesure de l’avancement des modules de formation.
Bien que l’IUFoST ne propose pas de formations sanctionnées par un diplôme universitaire, une « attestation de formation » est délivrée aux participants à l’issue des modules de formation (voir Figure 1). Si le nombre de participants aux modules de formation proposés reste faible, le succès des offres pilotes est encourageant. Cela ne fait que renforcer la volonté de l’IUFoST d’offrir le même genre de formation à l’échelle mondiale pour tous ceux qui cherchent une assistance dans le domaine de l’enseignement et de la formation pour les travailleurs de l’industrie alimentaire.
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Références
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Minnaar, A.; Taylor, J.R.N.; Haggblade, S.; Kabasa, J.D. et Ojijo, N.K.O. 2013. Food Science and Technology Curricula in Africa: Meeting Africa’s New Challenges. Capacity Development for Modernizing African Food Systems (MAFS) Working Paper 2. http://ageconsearch.umn.edu/bitstream/183415/2/WP2.pdf [Accessible le 19 août, 2015]
South African Development Community, 1997. Meeting on Protocol on Education and Training, Blantyre, Malawi. http://www.sadc.int/files/3813/5292/8362/Protocol_on_Education__Training1997.pdf [Accessible le 19 août, 2015]
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Spiess, W.E.L., Lund, D.B. et Mercer, D.G. 2013. IUFoST’s strategy to strengthen food security in rural areas of developing countries. International Journal of Food Science & Technology, 48, 5, 1065–1070.
http://onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1111/ijfs.12063/full [Accessible le 19 août, 2015]
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Commandé par : Le Centre technique de coopération agricole et rurale ACP-UE (CTA)
Publié par : CTA, http://knowledge.cta.int/
Édition : J.A. Francis, CTA
Citation: CTA 2016. http://knowledge.cta.int/, “auteur” consulté le “date.”
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