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Agrocarburants : sont-ils toujours pertinents pour la bioéconomie?

Author: Lynn K. Mytelka, enseignante, UNU-MERIT, Maastricht (Pays-Bas), professeur et chercheur distinguée, Carleton University, Ottawa (Canada)

Date: 28/03/2014

Introduction:

Dans la course à la recherche et à l’exploitation de nouvelles ressources en gaz et en pétrole, les agrocarburants pourraient devenir inutiles. Ces tendances globales compromettent les efforts vers une transition énergétique et le développement des énergies renouvelables. Les coûts financiers et environnementaux élevés découlant de l’exploitation d’anciennes et de nouvelles sources de pétrole et de gaz pourraient ne pas être pris en compte.      


 

L’agriculture est un lien essentiel entre une énergie propre et le développement inclusif pour produire du biodiesel à partir de graines d’oléagineux et du bioéthanol à partir de la canne à sucre ou du maïs. Si les biocarburants ont des qualités reconnues pour produire d’énergie et réduire les émissions de GES, ils participent à la destruction des forêts tropicales et menacent les cultures vivrières. Les effets négatifs ne sont pas forcément visibles. Le jatropha, par exemple, peut pousser sur des terres arides souvent impropres à la culture ; le cas du village de Garalo au Mali étant une exception.    

En 2007, les habitants de ce village ont décidé de planter 440 hectares de jatropha dans le cadre d’un projet visant à réduire la dépendance à l’égard du diesel importé et stimuler le développement rural. Certains résultats positifs ont été obtenus. Par exemple, après deux ans, nombre d’agriculteurs ont décidé de combiner la culture du jatropha avec des cultures vivrières locales, indiquant qu’un choix binaire entre culture vivrière et production de biocarburant n’était pas essentiel. Les agriculteurs ont en outre noué des liens étroits avec des instituts de recherche afin de réaliser des expérimentations communes et de mettre en place des systèmes locaux d’apprentissage et des outils permettant d’améliorer les systèmes de production. Les processus d’apprentissage confèrent aux petits exploitants la souplesse nécessaire pour s’adapter à l’évolution des prix et à la concurrence.     

Un groupe de femmes de Gbimsi (nord du Ghana) a développé des liens identiques dès le début du projet. Compte tenu des carences énergétiques, il leur fallait généralement deux semaines pour produire 25 kg de beurre de karité. Grâce au soutien du GRATIS (Service industriel de technologie régionale appropriée du Ghana) et de l’UNDP-GEF, elles ont cultivé du jatropha dans une exploitation de 4 ha, extrait l’huile au moyen d’équipements conçus par la fondation GRATIS et l’ont ensuite mélangé au diesel traditionnel (70/30). En l’espace de quelques années, elles ont produit 1 tonne de beurre de karité par mois et réalisé un profit de deux millions de cedis ghanéens (1 million $US environ).     

La plupart des projets de recherche sur le jatropha n’ont pas permis aux exploitants d’être décisionnaires et ne reposent pas sur une approche globale permettant de renforcer ces communautés agricoles. En effet, l’huile de jatropha est produite pour l’exportation, ce qui peut avoir des répercussions inattendues, souvent négatives, sur le développement inclusif.    

Premièrement, le jatropha n’est pas une plante à faibles intrants qui est facile à faire pousser. La culture du jatropha requiert de gros investissements de départ. Il est donc en concurrence directe avec les cultures vivrières. Les projets de recherche sur le jatropha sont la plupart du temps financés par des investisseurs étrangers qui achètent ou louent des terres. Faute de pouvoir satisfaire aux rendements prévus et compte tenu de l’évolution des prix mondiaux, nombre de projets ont été abandonnés. Deuxièmement, le marché de masse et les activités d’exportation nécessitent un mode de gestion très différent. Cela limite le rôle du jatropha dans le développement local.     

Une gamme diversifiée d’intrants agricoles peut être utilisée pour produire du diesel et il conviendrait de prendre en compte la quantité d’huile pouvant être extraite. Les graines de tournesol et de colza sont riches en huile extractible (43 % et 40 % respectivement). Cela augmente leur efficacité énergétique dans les moteurs diesel. Avant de passer à l’énergie propre et renouvelable, il convient d’examiner les avantages et inconvénients de chacune à l’échelon local.     

Il y a encore peu, l’idée même de vouloir développer une bioéconomie dans un pays en développement paraissait invraisemblable. Cela étant, la fabrication de biocarburants à partir de canne à sucre et d’éthanol cellulosique de deuxième génération, mais aussi la recherche sur les enzymes permettant la décomposition des déchets à partir d’algues marines montrent que ce n’est plus le cas.       

Des efforts seront nécessaires pour renforcer les capacités de recherche au niveau local et encourager la participation à des projets de R&D collaboratifs. Il existe des opportunités de financement, notamment dans le cadre du programme Horizon 2020 de l’UE et du Réseau sur les technologies du climat du CCNUCC. Les gouvernements des pays en développement doivent mettre l’accent sur la coordination des politiques entre les ministères afin de promouvoir le développement à long terme de la bioéconomie.   

28/03/2014