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l'Agroforesterie est-elle une reponse adaptee au changement climatique pour les pays ACP?

Author: Ouattara N’Klo (Ministère de l'Environnement, des Eaux et Forêts de Côte-d'Ivoire, Directeur Régional de l'Environnement du Bas-Sassandra), D. Louppe (Cirad, Département environnements et sociétés, Rédacteur en chef du Flamboyant [1] et éditeur scientifique), Frédéric Bourg (Direction de la recherche et de la stratégie, Cirad)

Date: 08/06/2010

Introduction:

L’exploitation des ressources naturelles, terre, eau et biodiversité, est freinée actuellement par une saturation de l’espace rural liée à la démographie galopante. La dégradation des forets accentuent l’impact du changement climatique (sécheresses, inondation). Les systèmes agroforestiers participent également à la correction des conséquences du changement climatiques notamment par l’amélioration du microclimat et de la biodiversité. La réflexion autour d’une agroforesterie périurbaine prend un relief intéressant dans un contexte de raréfaction des terres arables à proximité des zones habitées.

Répondre au changement climatique exige une mobilisation sans précédent de la communauté scientifique internationale qui doit repenser aux paradigmes à utiliser afin de guider les programmes de développement.


 

L’agroforesterie, comme innovation

Les informations scientifiques disponibles confirment que le changement climatique affecte déjà les écosystèmes forestiers et les services qu'ils fournissent, y compris la durabilité des écosystèmes et la préservation de la biodiversité. Il est également prévu d'avoir des effets positifs et négatifs sur les écosystèmes et le développement socio-économique dans l'avenir. Par exemple alors que la déforestation est responsable d'environ 18 pour cent des gaz à effet de serre, les forêts absorbent actuellement encore plus de carbone qu'elles n'en émettent et une augmentation de la croissance des arbres est prévue dans certaines régions apportant de nouvelles opportunités pour l'industrie forestière et les communautés tributaires des forêts. Toutefois, au long terme, quelques-uns des avantages escomptés découlant d’une couverture forestière augmentée pourraient être contrés si le changement climatique se poursuit à son rythme actuel. Pour tous les pays, certainement ceux du Sud, il sera surtout question de renforcer les capacités des populations à s’adapter au changement de climat, d’une part, et à s’engager résolument dans la voie du développement durable et de l’équité, d’autre part. Une augmentation des investissements au niveau de la recherche sur le changement de climat est très importante.

Ces systèmes agroforestiers pourraient également donner lieu à des Paiements pour Services Environnementaux (PSE) dans le cadre des accords sur le climat pour la Réduction des Emissions issues de la Déforestation et de la Dégradation (REDD). Mais, ces services sont insuffisamment valorisés et les avantages sont insuffisamment connus car ils dépendent des espèces, méthodes de gestion de l'environnement et doivent donc être dûment examinés et élaborés. Nair et al18 ont étudiés la séquestration du carbone dans cinq pays dont le Mali qui a montré que la plantation d’arbres en fonction des systèmes agricoles stockait beaucoup plus de C dans les couches profondes des sols dans des conditions comparables et que le contenu organique du sol et la richesse en espèces est plus élevée. Leurs travaux soutiennent le rôle des systèmes agroforestiers dans l'atténuation du changement climatique.

La culture itinérante sur brûlis comme système de mise en valeur agricole des terres a satisfait aux besoins des populations tout en conservant l’équilibre des écosystèmes cultivés tant que la pression humaine sur les ressources naturelles est restée à des niveaux maîtrisables. La forte croissance démographique favorisée par les progrès scientifiques et technologiques enregistrés au cours du siècle dernier - a engendré, en cascade, une succession de facteurs qui ont rompu cet équilibre.

Pour renverser la tendance, la réintroduction des arbres et arbustes dans l’espace rural s’impose comme une alternative sérieuse aux systèmes de productions agricoles, pastorales et forestières. Les systèmes agroforestiers, à travers les plantations linéaires d’arbres et arbustes, les jachères, les parcs arborés améliorés et les reboisements de tous genres, peuvent ainsi contribuer à réduire l’érosion, limiter la perte de matière organique et participer à l’amélioration générale du fonctionnement des sols en participant à la biodiversité des parcellese [2]. Les arbres isolés forment également des noyaux de forêt qui accélèrent la reconstitution ultérieure d’un couvert forestier continu [3]. Il s’agit donc d’une réponse à certaines conséquences du changement climatique, qui permet d’en éviter ou amoindrir les effets.

Vers une agroforesterie périurbaine ?

Les pays tropicaux en développement ou émergents ont en effet en commun une forte croissance des villes et une agriculture périurbaine en plein essor, mais les terres disponibles à la périphérie des villes sont très limitées. Une réponse au changement climatique consiste à promouvoir le développement de circuits courts de production, qui permettent de limiter les rejets de CO2 liés aux transports des marchandises en produisant au plus près des zones de consommation. Dans ces zones, où les parcelles exploitables tendent à se raréfier du fait de la croissance des villes (exode rural, développement économique, …), il est d’autant plus important d’utiliser au mieux les surfaces disponibles.

Réussir à mieux intégrer arbres et activité humaine à proximité des villes est ainsi un enjeu d’avenir : amélioration de la qualité de vie des citadins, augmentation des revenus des parcelles cultivées dans les zones périurbaines, diversification des productions. De plus, l’espace périurbain, c’est-à-dire l'espace situé autour des villes et soumis à leur influence directe, est susceptible d'être touché par les activités humaines qui ont lieu à proximité. Une attention toute particulière doit donc s’exercer quant aux méthodes de productions employées, qui doivent impérativement s’inscrire dans une logique de durabilité. L’arbre servirait alors de réservoir de biodiversité dans des zones de plus en plus urbanisées ; ce serait également un facteur à étudier, susceptible de limiter les risques de pollution par lessivage des éléments fertilisants employés par les agriculteurs, problème important qui se pose avec l’agriculture périurbaine. Ceci requiert plus de recherche.

Des questions à la recherche

Dans tous les cas où les arbres et l’agroforesterie sont introduis dans des champs à proximité de cultures saisonnières, un problème de concurrence entre arbres et cultures se pose. Des questions essentielles se posent ainsi à la recherche : dans quelles conditions les systèmes agroforestiers sont-ils plus efficients dans l’utilisation des ressources ? Quels sont les mécanismes, biophysiques qui régissent le fonctionnement de ces systèmes ? Quelles sont et comment mesurer au mieux leurs performances en termes de production, de productivité et de services environnementaux ? D’autres questions sont liées à la domestication des arbres, à l’amélioration génétique et à la valorisation des produits agroforestiers à tous les niveaux. En outre, il faut innover pour développer de meilleurs outils de surveillance et d'évaluation, qui permettront de mesurer les impacts de diverses formes d'agroforesterie sur la biodiversité et les moyens de subsistance.

Le changement climatique n’agit pas seulement sur les conditions biophysiques moyennes (thermiques, pluviométriques), mais aussi sur la variabilité intra et inter annuelle, sur l’occurrence et sur la fréquence d’événements extrêmes. L’amplification des risques invite ainsi à mettre en œuvre de nouveaux mécanismes de résilience économique et biophysique : seule une approche intégrative et systémique permettra de concevoir des stratégies efficaces de développement face au changement climatique et aux facteurs qui lui sont associés. La recherche scientifique finalisée, confrontée à l’obligation d’une plus grande pertinence pour que ses actions et produits contribuent aux innovations des décideurs et des producteurs, doit démontrer aux acteurs que l’adoption de techniques agroforestières rentables et respectueuse de l’environnement constitue une partie de la réponse à la question globale du changement climatique, qu’il s’agit d’un outil à diffuser et, surtout, d’une autre manière de produire, qu’il faut maintenant promouvoir fortement auprès des décideurs politiques.

References
[1] Le Flamboyant demeure l’outil essentiel d’information et de dialogue entre les membres du Réseau international arbres tropicaux. Les derniers numéros du Flamboyant sont dès à présent téléchargeables sur le site Internet : http://www.silva-riat.fr/derniers_numeros_flamboyants.html

[2] Les orphelins de la forêt, IRD Editions, 2003, Stéphanie Carrière

[3] Effet de nucléation (Yarranton et Morrison, 1974)

08/06/2010