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Perspectives d’avenir : la gouvernance de l’eau pour l’agriculture et l’alimentation dans les pays ACP

Author: Norman Uphoff, Cornell University

Date: 10/04/2013

Introduction:

Par Norman Uphoff, Cornell University  

 Rapport de synthèse du groupe de travail ACP-UE sur les S&T au service du développement agricole et rural dans les pays ACP – Partenariats de recherche, renforcement des capacités, innovation et prospective : la gestion de l’eau pour l’agriculture et l’alimentation dans les pays ACP  

 Dans ce rapport récemment publié par le CTA, le Professeur Uphoff note que la pénurie d’eau s’aggrave de façon alarmante et que seule une gestion efficace et effective de cette ressource aidera les pays ACP, où l’agriculture pluviale joue encore un rôle dominant, à faire face à ce phénomène. Dans sa mûre sur les expériences contemporaines longuement débattues par le groupe de travail ACP-UE lors de sa réunion annuel 2012, le Professeur Uphoff a noté qu’une « utilisation plus efficace de l’eau permet en effet d’accroître son approvisionnement », alors qu’une « utilisation plus productive de l’eau contribue à soulager la demande ou les besoins » en permettant aux agriculteurs d’obtenir « un meilleur rendement par goutte d’eau ». Il plaide en faveur d’une réflexion plus contemporaine sur l’eau consacrée à l’agriculture et suggère d’intégrer en douceur le concept de gouvernance de l’eau.  

Appréhender le concept de l’eau « grise », apprendre à exploiter le potentiel génétique et les synergies entre les espèces afin de promouvoir l’agriculture dans le contexte de l’évolution de l’agriculture moderne, accorder de l’importance aux microclimats bénéfiques, préserver la couverture végétale, encadrer la tarification de l’eau et répondre aux questions sur les tendances relatives à l’évolution de la qualité de l’eau : toutes ces questions sont abordées dans le rapport. 


 

PERSPECTIVES D’AVENIR : GOUVERNANCE DE L'EAU POUR L'AGRICULTURE ET L'ALIMENTATION DANS LES PAYS ACP

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Rapport de synthèse de la Réunion 2012duGroupe de réflexion ACP-UE sur la science & la technologie pour le développement agricole et rural dans les pays ACP Partenariats pour la recherche, le développement des capacités, l’innovation et la prospective : la gestion de l’eau pour l’agriculture et l’alimentation dans les pays ACP

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Commandé par CTA

par

Norman Uphoff, Université Cornell 

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Le Centre technique de Coopération agricole et rurale (CTA) ACP-UE a organisé la réunion de 2012 du Groupe de réflexion ACP-UE sur la science & la technologie, intitulée « Partenariats pour la recherche, le développement des capacités, l’innovation et la prospective : la gestion de l’eau pour l’agriculture et l’alimentation dans les pays ACP », en tant qu'événement parallèle à la Deuxième conférence mondiale sur la recherche agricole pour le développement (GCARD2) tenue à Punta del Este (Uruguay). Cet événement a rassemblé une série d'expériences actuellement menées dans les pays d'Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (ACP) concernant l’utilisation dans les systèmes de production agricole de ressources en eau de plus en plus rares et cruciales.[1] Tandis que l'eau est une ressource fixe ou limitée, son utilisation plus efficace peut en effet permettre d'élargir son approvisionnement. De manière similaire, l'utilisation plus productive de l'eau peut alléger la demande ou les besoins en offrant aux agriculteurs un « meilleur rendement par goutte d'eau ». Par conséquent, l'approvisionnement efficace peut être élargi au moyen d'une activité réfléchie.   

 

[1] http://knowledge.cta.int/en/Media/Multimedia/Programme-CTA-WUR-GCARDII-Side-Event-Managing-Water-for-Agriculture-and-Food-in-ACP-countries

Les contraintes liées à l’eau peuvent être prises en compte soit du côté de l'approvisionnement, soit de celui de la demande par des gains d’efficience et/ou de productivité, ces deux éléments constituant les deux faces d'une même pièce. En tout état de cause, ces contraintes doivent être réglées, car l'eau est en tout lieu l'élément le plus important pour toutes les formes de vies, végétales ou animales, des microbes aux êtres humains. Son importance est aujourd'hui davantage reconnue en raison de la diminution des réserves et des incertitudes et contraintes imposées par le changement climatique.  

La rareté relative de l'eau augmente à une vitesse alarmante et le secteur agricole, de par sa nature, est celui qui dépend le plus de l'eau. Les êtres humains dépendent à leur tour fondamentalement de l'agriculture pour leur approvisionnement en nourriture. C'est donc à juste titre qu'une gestion efficiente et efficace de l'eau doit aider les pays d'Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (ACP) à faire face à toute pénurie ou surabondance d'eau. Dans le Groupe d'États ACP, l'agriculture reste principalement pluviale, ce qui deviendra de plus en plus problématique dans un climat changeant, avec des précipitations annuelles irrégulières et des sécheresses plus fréquentes. 

La gestion de l'eau implique plusieurs composantes différentes : D'un point de vue fonctionnel, elle peut être décomposée selon : (i) son acquisition en tant que ressource physique émanant de différentes sources naturelles, (ii) l'attribution des droits à l'eau, (iii) sa distribution conformément à ces normes et critères et (iv), le cas échéant, son retrait ou son drainage si la quantité d'eau est trop grande ou sa qualité trop dégradée (Uphoff, 1986). Le stockage peut éventuellement être envisagé comme une autre nécessité fonctionnelle ; toutefois, il peut aussi être repris dans la première fonction d'acquisition. Bien que les pays ACP aient adopté le principe de gestion intégrée de l'eau et des terres, son application est devenue problématique. 

La vision traditionnelle de l'eau, considérée comme un élément devant être géré d'après sa forme propre et dans le contexte plus vaste de la gestion des terres et de la durabilité des écosystèmes, met en avant la nécessité d'un changement de paradigme. Les présentations et les discussions du Groupe de réflexion ACP-UE ainsi que les autres exposés et débats du GCARD2 ont mis en lumière, dans le cadre de la prise en compte des besoins pour une meilleure productivité et efficacité de l'utilisation de l'eau dans les systèmes agricoles, la nécessité d'une vision plus raisonnée, prévoyant des limites plus flexibles et une conception élargie de l'eauet de l'agriculture afin d'aller au-delà des idées conventionnelles en matière de gestionintégréede l'eau. Une gestion plus importante et plus efficace de l'eau s’impose assurément. L’un des messages fondamentaux est que l'eau pour l'agriculture doit être gouvernée, et non simplement gérée, et ce paramètre doit être évalué et utilisé dans des contextes plus larges afin de garantir la future production agricole et de connaître une croissance économique verte dans un climat changeant. 

Au cours de la réunion parallèle, six présentations ont été données sur les expériences dans des Etats d'Afrique, des Caraïbes et du Pacifique :

  • « Greening Rural Development and Growth in Sub-Sahara Africa – Benefits from discussing Green Economic Growth to support Paradigm Changes and Integration » (Croissance et développement rural vert en Afrique subsaharienne - Bénéfices tirés des discussions sur la Croissance économique verte pour soutenir les Changements et l'Intégration des paradigmes) de Jochen Froebrich, Université de Wageningen, Pays-Bas, rapport sur le travail du Projet de recherche coopérative de l'EAU4Food en Afrique du Sud (http://www.eau4food.info/);
  • « Toward Efficient Water Management for Agriculture in a Changing Climate: The Caribbean Context » (Vers une gestion de l'eau efficace pour l'agriculture dans un climat changeant : contexte des Caraïbes) d'Adrian Trotman, Directeur, Météorologie et Climatologie appliquées, Institut caribéen de météorologie et d'hydrologie, La Barbade, rapport sur l'Initiative caribéenne concernant l'eau (CARIWIN) (www.mcgill.ca/cariwin) et l'Initiative caribéenne agro-météorologique (CAMI) (www.cimh.edu.bb/cami) ;
  • « Women and Youth: The Untapped Agents for Sustainable Water Resource Management in the Green Economy » (Les femmes et la jeunesse : les agents inexploités pour une gestion durable des ressources d'eau dans l'économie verte) d'Olivia Mchaju Liwewe, Directrice générale & Consultante, Social Transformational Management Consulting Services (SOTMACS), Malawi, présentant l'expérience au Malawi dans la mise en œuvre de sa politique nationale sur l'eau et le programme national de développement de l'eau afin de rassembler des perspectives sur l'engagement des femmes et des jeunes pour améliorer la gestion des ressources d'eau ;
  • « Integrating Agro-ecological Crop Management within Integrated Water Resource Management: Lessons from Experience with the System of Rice Intensification (SRI) » (Intégration de la gestion agro-écologique des cultures dans une gestion intégrée des ressources en eau : enseignements des expériences avec le Système d'intensification du riz (SRI)) de Norman Uphoff, Conseiller principal, SRI International Network and Resources Center (SRI-Rice), Directeur du Cornell Institute for Public Affairs, université de Cornell, États-Unis, reprenant des expériences issues de 51 pays d'Asie, d'Afrique et d'Amérique latine (dont 20 ACP) rapportées sur le site internet du SRI : (http://sri.ciifad.cornell.edu);
  • « Innovative On-Farm Water Management for Increased Food Production in Jamaica » (Gestion innovante de l'eau dans les exploitations pour augmenter la production alimentaire en Jamaïque) de Leslie A. Simpson, Spécialiste en gestion des ressources naturelles, Institut caribéen de développement et de recherche agricole (CARDI), Jamaïque, traitant de l'introduction de la récolte de l'eau de pluie et d'un système d'irrigation à petite échelle dans une communauté rurale agricole en Jamaïque qui a toujours utilisé des résidus culturaux comme couverture de sol afin de réduire les pertes en eau ; et 
  • « Green Growth, Climate Change, Food Security and Water in Pacific Island Countries » (Croissance verte, changement climatique, sécurité alimentaire et eau dans les pays des îles du Pacifique) de Viliamu Iese, Collaborateur de recherche, Future Climate Change Leaders Project, Pacific Centre for Environmental and Sustainable Development, université du Pacifique sud, Fidji.

Toutes ces présentations Powerpoint ont été publiées sur le site internet du CTA.[2]

Les expériences concrètes ont été évoquées dans la perspective des étapes à venir et les quatre thèmes du GCARD2 ont fréquemment été exemplifiés dans les études de cas : recherche, développement des capacités, innovation et prospective.

[2]

http://knowledge.cta.int/en/content/download/34951/473173/file/Froebrich_121028.pdf;

http://knowledge.cta.int/en/content/download/34953/473199/file/Trotman_121028.pdf

http://knowledge.cta.int/en/content/download/34952/473186/file/Liwewe_121028.pdf

http://knowledge.cta.int/en/content/download/34950/473160/file/Uphoff_121028.pdf

http://knowledge.cta.int/en/content/download/34954/473212/file/Simpson_121028.pdf;

http://knowledge.cta.int/en/content/download/34949/473147/file/Iese_121028.pdf  

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Judith Francis, du CTA, a résumé les conclusions dans un bref article : « Key Messages from CTA-Wageningen UR ACP/EU Think Tank GCARD2 Side Event on Partnerships for Research, Capacity Building, Innovation and Foresighting: Managing Water for Agriculture and Food in ACP Countries ». 

(http://knowledge.cta.int/en/content/download/34877/471927/file/Key+Messages+CTA-WUR+ACP-EU+Think+Tank+on+Science+Technology+-+GCARD+2.pdf)

Cet article se penche sur la pertinence du sujet de la réunion parallèle, à savoir :

(i)                La prospective, où l'anticipation des contraintes acquiert une perspective élargie, en paysage ;

(ii)              L'innovation, avec une attention particulière pour les possibilités entrepreneuriales originales afin de créer de l'emploi et de la richesse pour la population locale dans le cadre d'une « croissance verte » ;

(iii)             Les réactions et anticipations face au changement climatique, au moyen de systèmes d'alerte précoce ;

(iv)             Les recherches visant à traiter les questions des contraintes liées à l’eau, de l'épuisement des nutriments, des possibilités agro-écologiques et d'autres sujets, au travers d’une approche transdisciplinaire et axée sur les exploitations ;

(v)              Le développement des capacités en vue d'acquérir de nouvelles connaissances et de nouveaux paradigmes ; et

(vi)             Les partenariats, intégrant des organisations locales, nationales, régionales et internationales.

Conformément au thème de la présentation de Iese intitulée « Croissance verte, changement climatique, sécurité alimentaire et eau », cet article entreprend de s'appuyer sur les expériences rapportés au cours de l'événement parallèle pour anticiper sur le lien entre l'eau pour l'agriculture et l'alimentation (sa gestion, sa disponibilité en suffisance, sa rareté, sa distribution, sa productivité, etc.) d'une part, et la gouvernance d'autre part, approfondissant ainsi le sujet général de l'événement parallèle.

Élargissement de la vision : La plupart des présentations et des discussions ont généralement porté sur l'aspect plus général de lagouvernance. La « gestion » est un terme tout à fait opérationnel et respectable. Cependant, celle-ci tend à être plus micro que macro, plus descendante que participative et plus adaptée à l’efficience dans des limites données ou acceptées. Ce terme a tendance à présupposer certains objectifs, valeurs et limites qui définissent une situation au lieu de les étudier, les critiquer, les revoir et les affiner. La gouvernance implique des considérations plus complexes, dont l'efficacité est la préoccupation principale. L’efficience est importante, mais secondaire par rapport à l'efficacité. On peut être efficient tout en poursuivant des objectifs erronés, trompeurs ou inappropriés. Par conséquent, il est important, en particulier pour un facteur aussi crucial que celui de l'eau, que tous les acteurs - des organisations aux individus - ne s'arrêtent pas à l’efficience ni à une conception étroite de la productivité. Dès lors, la « gouvernance » s'avère constituer un meilleur cadre de réflexion et d'action que la « gestion ».

Cela est lié à un deuxième axe conceptuel et programmatique qui s'est dégagé de certaines présentations, et abordé de manière plus approfondie et explicite lors de la session parallèle au GCARD2 intitulée « Les territoires, l'eau, les forêts et les paysages : la nécessité de ne pas s'arrêter à l'unité d'analyse et d'action de l'exploitation ou de l'entreprise afin d’orienter les décisions politiques et de gestion dans le contexte élargi des paysages et bassins hydrographiques ». En d'autres termes, il s'agit d'éviter d'être regardant pour les petites sommes et dépensier pour les grandes, comme le dit l'expression anglaise « penny-wise but pound-foolish », qui reflète la distinction « efficience vs. efficacité » faite précédemment.

En règle générale, le message délivré au travers des différentes présentations et discussions était que la planification et la mise en place d'utilisations efficaces et efficientes de l'eau pour l'agriculture et l'alimentation (et d'autres secteurs) nécessitent d'élargir les réflexions plutôt que de réfléchir en termes restreints et réductionnistes et d'avoir une vision raisonnée lors des délibérations et des décisions, et non une vision grossie de quelques éléments sélectionnés ou familiers.

En dernière analyse, l'utilisation la mieux adaptée et la plus durable des ressources d'eau requiert des décisions et des actions très spécifiques afin de gérer cette ressource vitale. Les solutions, les critères, les complémentarités, etc. peuvent être formulés dans des termes assez limités et restrictifs ou bien être interprétés et élaborés de manière plus large. Il n'est pas nécessaire de démarrer dans un cadre restreint simplement parce qu'il faut parfois aboutir à des décisions limitées et concrètes. Cela a été manifestement un thème récurrent dans le Groupe de réflexion ACP-UE et au cours des événements ultérieurs du GCARD2.

Types d'eau : L'une des nouvelles idées les plus ambitieuses du discours scientifique et politique sur l'eau est la distinction entre l'« eau bleue » et l' « eau verte » (Falkenmark et Rockström 2006). Cette catégorisation est plus importante pour le secteur agricole que pour n'importe quel autre secteur.

  • L'eau bleue correspond à l'eau qui s'est amassée ou a été amassée en plans d'eau : océans, lacs, rivières, cours d'eau, réservoirs et même nappes souterraines. Ce terme vient du fait que de telles accumulations d'eau sont capables de refléter la couleur du ciel et présentent donc une couleur bleue, même si l'eau n'a pas de couleur.
  • L'eau verte, à l'instar de l'eau bleue, provient des précipitations ; mais au lieu de s'écouler le long du sol et de s'accumuler quelque part, elle est capturée par le sol et est stockée dans celui-ci, ou bien est absorbée par les plantes (et dans une moindre mesure par les animaux), et en particulier par le biote du sol, l’ensemble des organismes vivant sous la terre répartis entre un nombre incalculable d'espèces. L'eau verte, qui fait partie intégrante de la matière et de la substance des écosystèmes, est absorbée par les plantes depuis leurs rhizosphères (les zones du sol avoisinant leurs racines) pour subvenir à leurs besoins.

La plus grande part des réflexions (et des investissements) sur l'agriculture s'est jusqu'à présent concentrée sur l'eau bleue : la capture, le transport et la livraison d'eau à partir de sources exploitables surtout pour répondre aux besoins des cultures. Cela a été réalisé à grands frais et a généralement entraîné des pertes substantielles au moment de l'approvisionnement, mais aussi de l'assimilation et de la transpiration des plantes.

De ce fait, la conception actuelle de l' « eau pour l'agriculture », qui est généralement évaluée en termes de précipitations et/ou d'eau d'irrigation (pompée ou écoulée par gravité), doit être élargie. Elle doit inclure le domaine intermédiaire de l'eau verte, et pas uniquement les précipitations ou l'eau bleue, et doit également comprendre une catégorie supplémentaire.

  • L'eau grise est l'eau dont la qualité, mais pas la quantité, a été réduite par les usages agricole, industriel et/ou domestique. Tandis que l'approvisionnement en eau pure provenant des précipitations ou de sources au-dessus/en-dessous de la terre s'appauvrit et devient moins fiable, la stratégie économique du recyclage et/ou de la purification de l'eau de qualité dégradée deviendra plus propice.

Étant donné que les précipitations seront moins abondantes et moins fiables au cours des prochaines années et que l'irrigation deviendra plus chère ou limitée pour différentes raisons, il sera nécessaire d'avoir une conception plus différenciée de ce qu'est l' « eau », en accordant davantage d'attention aux catégories « verte » et « grise ». La création de conditions permettant la collecte et l'utilisation d'eau verte peut se faire de manière plus individuelle et moins dépendante des actions gouvernementales que des investissements sur des millénaires afin de délivrer de l'eau « bleue » au moyen de l'irrigation. La disponibilité et l'équilibre entre ces types d'eau relèvent indiscutablement de la « gouvernance », qui va bien au-delà de l'actuelle réflexion sur la « gestion ». Il sera également nécessaire d'évaluer la disponibilité de l'eau dans le contexte temporel et spatial général.

Succès agricole – une vision élargie de l'eau : Tout comme la réflexion sur l'eau pour l'agriculture devra évoluer au cours des prochaines décennies, l'agriculture en tant que telle devra également être repensée étant donné l'augmentation des besoins en eau de la population. À première vue, il peut sembler que nous devions « revenir » à certaines pratiques de gestion agricole qui étaient répandues durant les siècles précédents. Mais puisque nous avons aujourd'hui une conception scientifique plus pertinente et approfondie des différentes interactions plante-sol-eau-nutriments-biote du sol, l'utilisation et l'amélioration des révisions, basées sur la biologie, de l' « agriculture moderne » ne refléteront pas tant les pratiques traditionnelles qu’une meilleure compréhension de la manière dont nous pouvons tirer profit des potentiels génétiques et des synergies inter-espèces pour l’agriculture. Lors de sa présentation au cours de l'événement parallèle, Simpson a souligné que « l'amélioration de la gestion agricole [était] essentielle à la survie de l'agriculture dans les Caraïbes. »

  • La maîtrise de l'évapotranspiration s'avère plus compliquée que le simple fait d'ériger des coupe-vent, une pratique appréciée et employée presque par instinct par de nombreuses générations d'agriculteurs précédentes. Nul n'est sans savoir que les plantes produisent de l'eau dans le cadre du processus de photosynthèse. Cependant, cette transpiration varie aussi en fonction de la force et du volume du vent et des courants d'air qui passent à travers la couverture végétale, ainsi que de la température et de l'humidité de l'air autour des plantes. Au cours du siècle dernier, la taille des exploitations de nombreux pays a eu tendance à s'agrandir en des unités de plus en plus larges afin de faciliter la mécanisation de la production et de réduire les besoins de main-d'œuvre. Cette tendance a provoqué une réduction assez radicale du nombre de coupe-vent, de rangées d'arbres, d'arbustes et des autres végétations qui influent sur le balayage des vents sur les champs et à travers les couvertures végétales.[3] Dans les champs non protégés, la perte d’eau due à l’évaporation et à la transpiration des plantes est bien plus prononcée, mais n'a pratiquement jamais été examinée ou mesurée. Cependant, il s'agit d'un des facteurs invisibles qui écornent la productivité de l' « agriculture moderne ».

Évidemment, dans de nombreux pays dont la croissance démographique est rapide et la superficie de terre arable fixe, la tendance est inverse et la taille des exploitations tend à diminuer en raison de la subdivision au lieu d'augmenter grâce au regroupement/à la consolidation des propriétés. Mais ce processus a lui aussi des effets néfastes sur l'évapotranspiration. Alors que la production des petites propriétés s'est étendue au maximum et a engendré un abattage d'arbres, d'arbustes et d'autres plantes en conséquence, des microclimats résistant à la dessiccation et favorables à la croissance et à la bonne santé des cultures ont ainsi été détruits. 

Dans les deux cas, on estime que l'attention accordée aux microclimats bénéfiques devrait augmenter afin de renforcer la gestion de l'eau pour la production agricole et de parvenir à une utilisation efficiente de l'eau. Les facteurs techniques et économiques qui ont favorisé de grandes opérations dans les terres se transforment aujourd'hui, alors que les « économies de détail » (Onyemelukwe 1981) deviennent plus compétitives avec des économies d'échelle dans l'agriculture et que la disponibilité de l'eau et des terres par personne est en baisse. Souvent, la meilleure manière de gérer l'eau est de gérer d'autres facteurs que l'eau. C'est, entre autres, une des raisons pour lesquelles la perspective de paysage susmentionnée, allant au-delà du champ, est importante. Le Groupe de réflexion ACP-UE a reconnu la nécessité d'approfondir les recherches sur les systèmes agricoles ACP dans les différents microclimats afin de prendre des décisions en connaissance de cause. 

  • Le maintien de la couverture des sols est également important pour améliorer la gestion de l'eau pour l'agriculture. L' « agriculture moderne », particulièrement axée sur la monoculture et souffrant de la phobie des mauvaises herbes, a contribué à l'apparition de sols dénudés en supprimant d'anciennes polycultures et même la rotation des cultures (qui est une manière de contrôler la pousse des mauvaises herbes). Cette tendance a été contrée au cours des dernières décennies par le mouvement visant une agriculture de conservation (AC) (http://www.fao.org/ag/ca/). Outre la réduction ou l'élimination du labourage mécanique, l'AC promeut le maintien de la couverture végétale sur le sol ainsi que la rotation des cultures. Les avantages de cette stratégie ont été mentionnés dans la partie de session P2.2 par Ivo Mello, président de la Fédération brésilienne des Associations de semis direct sur couverture végétale. Lors de l'événement parallèle du Groupe de réflexion ACP-UE, Simpson a déclaré que l'herbe de Guinée (Panicum maximum) était autrefois utilisée comme couverture de sol, avant l'introduction de l'irrigation à petite échelle, mais que malgré ses avantages significatifs, elle présentait l’inconvénient de taille de provoquer une infestation parasitaire.

La couverture du sol présente de nombreux avantages, outre celui de réduire la perte d'humidité du sol par l'évaporation. Elle supprime la concurrence des mauvaises herbes et l'ombre qu'elle crée limite le réchauffement du sol par la lumière solaire (surtout en climat tropical), laquelle réduit la population d'organismes bénéfiques dans le sol. En outre, elle peut apporter des nutriments au sol et améliorer sa structure, étant donné que la matière organique se décompose et est absorbée dans le sol par une faune variée. Cela montre à nouveau que la « gestion de l'eau » peut passer par la gestion d'autres facteurs tels que l'optimisation des résidus culturaux. Par conséquent, les pratiques culturales agricoles sont importantes tant pour l'amélioration de la gestion de l'eau que pour le succès et la durabilité agricoles.

Considérations économiques et juridiques : Quel que soit le moment ou l'endroit, l'eau reste un produit limité, mais cette considération est toujours plus relative qu'absolue. L'approvisionnement en quantité suffisante dépend de la demande et des utilisations parallèles. C'est là que la gouvernance joue un rôle encore plus important.

  • La fixation du prix de l'eau ou son attribution est un point controversé, étant donné que dans la plupart des cultures, l'eau est considérée comme un cadeau de Dieu ou de la nature et ne doit donc pas être payée. Tandis que l'eau peut en principe être considérée comme gratuite, l'eau de bonne qualité disponible quel que soit l'endroit et le moment où les gens le désirent ne l'est pas. L'eau n'est plus abondante dans la plupart des régions - et encore moins l'eau de bonne qualité. La mise à disposition gratuite de l'eau devient plus difficile à garantir sans recourir à des méthodes d'attribution ou de rationnement. Sans un mécanisme de prix ou un autre système de ce type, la surutilisation et le gaspillage sont encouragés, ce qui aggrave des situations déjà mauvaises.

Certaines mesures ont été introduites pour faire de l'eau un produit de marché, en donnant à quelques intérêts public ou privés le contrôle de l'eau et en instaurant une fixation des prix de marché. Elles se sont souvent heurtées à une opposition et à une résistance, voire à de la violence dans certains cas. La recherche de solutions économiquement viables et socialement acceptables tout en étant techniquement réalisables, constituera un défi considérable.

Les gouvernements de tous niveaux, de concert avec les institutions de la société civile et le secteur privé, et avec l'engagement direct des communautés et des ménages, doivent prendre des initiatives pour trouver des moyens tangibles de « répartir la rareté » entre les différents demandeurs, les producteurs agricoles constituant un groupe important mais non le seul. La recherche de moyens efficaces, justes et durables d'attribution de droits à l'eau, que ce soit au moyen de quotas, d'une fixation des prix, d'un accès subventionné ou autre, est un sujet qui doit être abordé en tant qu'aspect de la gouvernance.

Pour que cela fonctionne, des évaluations correctes doivent être fournies sur l'approvisionnement en eau dans le temps et dans l'espace, selon les saisons ainsi qu'en fonction des années. Les évaluations des réserves d'eau (en particulier sous la surface) sont suffisamment difficiles à réaliser. Néanmoins, des évaluations sur le flux et la disponibilité dans le temps sont nécessaires, en appliquant des régimes différents, convenus d'avance, pour faire face à des périodes de pénurie ou de stress. Par le passé, les hommes ont réussi à éviter une telle résolution de problèmes la plupart du temps et dans la majorité des endroits. Cependant, les situations prévisibles dans la plupart des régions du monde rendent nécessaire une assimilation sociale du changement culturel et de la capacité institutionnelle.

  • La préservation de la qualité de l'eau est également devenue un défi important dans un monde plus densément peuplé, qui cherche à tirer les bénéfices de processus industriels, moins « naturels » que ceux que les humains et d'autres espèces ont toujours connus. Les menaces grandissantes de l'appauvrissement de la qualité de l'eau sont illustrées de façon spectaculaire par des événements tels que les déversements de produits chimiques, les accidents sur des plates-formes pétrolières ou les naufrages de pétroliers. Mais en général, les réserves d'eau sont menacées par de nombreux dangers qui détériorent l'eau disponible. Pendant des siècles, les humains, leur bétail et leurs cultures ont pu coexister avec des dégradations mineures ou peu fréquentes. Les économistes les ont qualifiées de manière abstraite d'« extériorités négatives », tandis que les législateurs ont adopté des restrictions ou des sanctions généralement modérées. La situation actuelle requiert des efforts plus résolus pour faire en sorte que la qualité de l'eau soit protégée et que les pollueurs paient ! Ce point aussi relève davantage de la gouvernance que de la gestion et s'applique tant à l'agriculture qu'à d'autres secteurs, dont la santé, le tourisme et l'industrie, et surtout à ce qui se rapporte à une agriculture « non réglementée » et « industrielle ».

La qualité de l'eau n'est pas uniquement un sujet terrestre ; elle implique également les environnements marins, comme l'a montré la présentation de Viliamu Iese de l'Université du Pacifique Sud au cours de l'événement parallèle. De nombreux pays insulaires ACP perçoivent déjà les effets néfastes des dégâts causés aux récifs avoisinants, principalement en raison des changements de température des eaux marines et de leur composition chimique.

Par ailleurs, la gouvernance visant à préserver la qualité de l'eau ne devrait pas être uniquement une matière pour les ministères nationaux ou les autorités centrales chargées de l'eau. Elle doit figurer à l’ordre du jour à tous les niveaux du gouvernement, et être au programme de la société civile, des organisations communautaires et privées, des universités et des organisations de recherche, et même au niveau des unités familiales. Les réflexions sur la quantité de l'eau et sur son insuffisance retiennent de plus en plus l'attention et pourraient, d'une certaine façon, l'emporter sur celles relatives à la qualité de l'eau. Tout le monde doit se sentir concerné par la préservation ou la restauration de la qualité de l'eau.

Perspectives d'avenir - L'eau dans le contexte du changement climatique et de la croissance économique verte : Toutes ces considérations renforcent l'argument avancé au début de ce rapport, selon lequel tant la « gestion » que l'« eau » au cours de ce XXIe siècle doivent être repensées par rapport à la réflexion plus limitée, circonscrite et souvent mécaniste des ères précédentes. Le concept de gouvernance devrait primer, en intégrant la gestion en tant qu'aspect de prise en charge d'activités plus répétitives et davantage organisées au niveau micro. D'une façon similaire, l'eau ne devrait être considérée comme une ressource limitée et fixe que dans un certain sens absolu, presque métaphysique. Il existe de nombreux moyens grâce auxquels les usages et priorités en matière d'eau peuvent renforcer la productivité et accroître l'efficience pour que de l'eau soit, effectivement, « créée ».

Mieux encore : des utilisations plus intelligentes de l'eau peuvent en faire une ressource à somme positive plutôt qu'à somme nulle. Le Système d'intensification du riz (SRI), qui a été présenté lors de la réunion parallèle au GCARD2 du Groupe de réflexion ACP-UE, a montré dans de nombreux pays que la modification de la manière dont les plantes, le sol, l'eau et les nutriments sont gérés, dans la mobilisation des services et la protection d'organismes bénéfiques du sol, peut permettre de récolter des bénéfices en augmentant le rendement tout en réduisant l'apport d'eau, mais aussi de graines, d'engrais et souvent même de main-d'œuvre. Comme l'a démontré le projet de recherche EAU4Food, la disponibilité de l'eau doit être envisagée dans le contexte temporel et spatial général, et l'optimisation des ressources requiert des processus d'innovation ouverts qui profitent à la communauté. Les projets CAMI et CARIWIN, présentés par Torman, montrent que les systèmes nationaux d'information sur l'eau ainsi que le contrôle des sécheresses et des précipitations sont des outils cruciaux de soutien aux décisions qui doivent être appuyés par la recherche et le développement des capacités.

Conclusion : Ce document ne constitue pas une analyse exhaustive de la situation et des solutions envisageables ; il s'agit plutôt d'une dissertation fondée sur des idées et des expériences soulevées par le Groupe de réflexion ACP-UE du CTA sur la science et la technologie et dans les discussions du GCARD2 qui s’en sont suivies. La plupart des pays, et en particulier les pays ACP, prévoient une raréfaction de l'eau au cours des prochaines décennies, tandis que leur population continue de croître et que leurs ressources d'eau diminuent, ou du moins deviennent moins fiables et moins à même de répondre aux demandes. Les idées et les institutions pour une « gestion intégrée de l'eau et des terres », qui se sont avérées plutôt utiles, quoiqu'imparfaites, durant la seconde moitié du XXe siècle, sont appelées à connaître une révision et une expansion considérables suivant les axes de discussion évoqués ci-avant.

La gouvernance de l'eau, qui englobe les perspectives de paysages, de bassins hydrographiques et de captage, doit être considérée comme la solution d’avenir. Une conception scientifique approfondie des différentes interactions plante-sol-eau-nutriments-biote du sol, des modèles culturaux dans divers microclimats, ainsi que l'utilisation et l'amélioration de révisions, basées sur la biologie, de l' « agriculture moderne » qui intègrent les pratiques traditionnelles et s'en inspirent et incluent les communautés agricoles, nous permettront de mieux cerner la manière dont pouvons tirer profit des potentiels génétiques et des synergies inter-espèces pour l’agriculture. La croissance économique verte et la durabilité des écosystèmes dans un climat changeant nécessitent de la prospective, des processus d'innovation ouverts, des investissements et une recherche plus ciblée, des réflexions interconnectées, le développement des capacités, des partenariats, ainsi que des outils et systèmes de soutien aux décisions disposant des ressources suffisantes.

[3] La réforme agraire à Cuba et la mécanisation de son agriculture ont nécessité l'abattage de millions d'arbres qui constituaient des coupe-vent le long des propriétés. On a tenté d’obtenir davantage d’efficience à travers une production à large échelle et mécanisée, mais sans attention pour l'augmentation concomitante de l'évapotranspiration qui a causé une baisse de la fertilité des sols ainsi qu'une baisse de leur humidité, ce qui a compromis la productivité agricole alors que d'importants bénéfices étaient escomptés.

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RÉFÉRENCES

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Onyemelukwe, C.C. 1981. Economic Underdevelopment: An Inside View. (Sous-développement économique : une vue de l'intérieur) Longman, Londres, UK.

Uphoff, N. 1986. Improving International Irrigation Management : Getting the Process Right. (Amélioration de la gestion internationale de l'irrigation : trouver le bon processus). Westview Press, Boulder, CO, États-Unis.

Uphoff, N., Ball, A., Fernandes, E., Herren, H., Husson, O., Laing, M., Palm, C., Pretty, J., Sanchez, P., Sanginga N. et Thies, J. (eds.). 2006. Biological Approaches to Sustainable Soil Systems. (Approches biologiques vers des systèmes de sol durables) CRC Press, Boca Raton, Floride, États-Unis.

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Rédigé par J.A. Francis, CTA

 

Citation: CTA 2013. http://knowledge.cta.int/, « auteur », accédé le « date. »

 

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10/04/2013

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