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Atteindre la sécurité alimentaire Le Programme détaillé pour le développement de l'agriculture africaine (PDDAA)

Author: Prof. Richard M. Mkandawire

Date: 10/09/2007

Introduction:

En dépit d’avancées significatives, la pauvreté et la faim perdurent en Afrique. L’Union africaine (UA) estime que 27 % des Africains sont sous-alimentés, ce qui représente une baisse de 2 % depuis 1995. La FAO (2004) constate que de nombreuses sous-régions africaines ont fait des progrès remarquables dans la réduction de la faim, sauf en Afrique centrale où le nombre de personnes sous-alimentées a augmenté, passant à 56 % contre 36 % au début des années 1990 (tableau I). Dans l’absolu, le nombre de personnes sous-alimentées est passé de 176 à 210 millions, tandis que la population totale de l’Afrique grimpait de 589 à 764 millions durant la même période.


 

Tableau I : Performance des sous-régions africaines en termes de réduction de la faim, en millions et pourcentages, 1990/92 – 2000/02

Sous-régions africaines Nombre de personnes sous-alimentées (en millions) Pourcentage de la population sous-alimentée Évolution du pourcentage sur dix ans
1990/92 2000/02 1990/92 2000/02
Nord 5.4 6.1 4 4 0
Centre 22.7 45.2 36 55 + 19
Est 76.4 86.2 46 40 - 6
Sud 34.1 35.7 48 40 - 8
Ouest 37.2 36.4 21 16 - 5
Ensemble Afrique 175.8 209.6 29 27 - 2

Source : State of Food Insecurity in the World, 2004, FAO.

Les défis à relever pour atteindre la sécurité alimentaire en Afrique

Quoiqu’il y ait eu des poches de succès dans quelques pays d’Afrique, la sécurité alimentaire est restée hors d’atteinte pour la plupart des autres. L’agriculture n’a pas été capable de transformer les économies du continent de la même façon qu’en Asie et en Amérique latine. Les principaux obstacles sur le chemin d’une sécurité alimentaire durable ont été la population en augmentation, la pauvreté (voir tableau I), la résurgence des conflits et des bouleversements politiques, la faiblesse des infrastructures, le sida et les autres maladies débilitantes comme le paludisme, la forte dette extérieure, la dégradation des sols, la rareté croissante et la mauvaise gestion de l’eau, la désertification et le changement climatique.

Encadré 1. L’indicateur de développement humain en Afrique subsaharienne

L’indicateur de développement humain (IDH), qui mesure la qualité de vie, s’est dégradé dans la majeure partie de l’Afrique au cours des dernières décennies. Le PNUD (2006) constate que depuis 1990 l’IDH a stagné en Afrique subsaharienne, en partie à cause de la conjoncture économique, mais surtout du fait des effets catastrophiques du sida sur l’espérance de vie. Dix-huit pays – essentiellement d’Afrique subsaharienne – ont un IDH plus bas aujourd’hui qu’en 1990. À l’heure actuelle, 28 des 31 pays à faible développement humain sont situés en Afrique subsaharienne.

Instruction
Dans des pays comme le Tchad, le Malawi ou le Rwanda, moins de 40 % des enfants qui commencent l’école iront jusqu’au bout du cycle de l’enseignement primaire.

Pauvreté
L’Afrique subsaharienne est la seule région du monde qui connaisse à la fois une augmentation de l’incidence de la pauvreté et une augmentation absolue du nombre des pauvres. Près de 300 millions de personnes – presque la moitié de la population – vivent avec moins d’un dollar par jour. Pendant que le monde est, dans son ensemble, en bonne voie pour atteindre l’objectif 2015 de réduire la pauvreté de moitié, l’Afrique subsaharienne est sortie de la route, et elle n’est pas la seule : les données par pays indiquent que les objectifs 2015 ne seront pas atteints pour 380 millions de personnes.

Source : PNUD (2006)

Pendant la période 1993-2003, par exemple, le taux de croissance démographique en Afrique a été supérieur au taux de croissance de la production agricole ; durant la même période la part du continent dans le marché mondial baissait pour neuf de ses dix principales productions agricoles d’exportation. La production agricole africaine doit augmenter de 4 à 6 % par an, de manière soutenue, pour répondre aux besoins alimentaires d’une population africaine qui devrait passer d’environ 900 millions aujourd’hui à 1,3 milliard d’ici 2020.

Les menaces posées par l’insécurité alimentaire sur le développement de l’Afrique dans son ensemble

Ceux qui ont faim sont les plus pauvres parmi les pauvres, c’est pourquoi la réduction de la faim doit faire partie des premiers pas vers la réalisation de l’Objectif du Millénaire pour le développement de réduire la pauvreté de moitié d’ici 2015. La présence d’un très grand nombre de pauvres affamés et tenus à l’écart du marché et de l’emploi joue le rôle d’un frein sur la croissance économique et le développement ; si rien n’est fait, elle constitue de surcroît un terreau favorable à l’instabilité et aux conflits sociaux.

Des stratégies pour s’atteler aux problèmes

Aussi longtemps que la faim régnera en Afrique, il est peu probable que le continent puisse atteindre les taux de croissance élevés nécessaires qui lui permettraient de s’occuper de la réduction de la pauvreté et d’atteindre les Objectifs du Millénaire pour le développement (OMD) pour 2015. L’éradication de la faim constitue l’un des principaux objectifs de développement en Afrique. Le Programme détaillé pour le développement de l'agriculture africaine (PDDAA) du Nouveau partenariat pour le développement de l'Afrique (NEPAD), adopté par les chefs d’État et de gouvernement africains en 2003, guide donc les États africains sur le chemin d’une croissance basée sur l’agriculture au sens large. Le Plan d’action stratégique du département Économie rurale et agriculture de la commission de l’UA vise à lancer et à promouvoir des politiques et des stratégies de développement de l’agriculture africaine et des moyens d’existence de ses populations dans le cadre du PDDAA.

Une augmentation de la production alimentaire apporte à la fois nourriture et revenus, mais ne suffit pas à garantir que tout le monde mangera à sa faim. Entrent en jeu la production alimentaire, la capacité à se procurer de la nourriture (qui dépend du prix des aliments, du prix des autres biens et des salaires) et l’accès à la nourriture (selon que l’on est homme ou femme, vieux ou jeune, malade ou en bonne santé). De nombreuses régions sont en voie d’atteindre la sécurité alimentaire, notamment l’Asie du Sud depuis la Révolution verte (Mkandawire et Albright (2006) (1).

Le cadre du PDDAA

Les nombreux problèmes qui affectent aujourd’hui l’Afrique sont dus à une diminution des investissements agricoles africains durant les vingt dernières années. L’OCDE estime que l’aide à l’agriculture est passée de 6,2 milliards de dollars US en 1980 à 2,3 millions en 2002. Pendant la même période, l’aide officielle au développement a augmenté de 65 % mais la part de l’agriculture dans cette aide a diminué encore plus, passant de 17 % en 1982 à 3,7 % en 2002. La raison en était que l’agriculture avait failli à sa mission et qu’en conséquence l’intérêt s’est plus porté sur les secteurs sociaux comme l’éducation et la santé. Cette situation a remarquablement changé depuis 2001, quand les dirigeants africains et leurs partenaires en développement ont reconnu à nouveau la nécessité de passer par le développement agricole pour atteindre une croissance économique durable, la sécurité alimentaire et la réduction de la pauvreté.

Le PDDAA fait reposer son investissement et son action sur quatre « piliers » :

  • Pilier I : Étendre les zones de gestion durable des terres et les systèmes fiables de contrôle de l’eau, de façon à augmenter l’accès à l’irrigation.
  • Pilier II : Faciliter l’accès au marché par une amélioration des infrastructures rurales et autres interventions liées au commerce.
  • Pilier III : Augmenter l’approvisionnement alimentaire et réduire la faim dans toute la région en augmentant la productivité des petites exploitations et en améliorant les réponses aux urgences alimentaires de crise.
  • Pilier IV : Faire avancer la recherche agronomique, élargir la vulgarisation des technologies appropriées par de meilleurs systèmes de diffusion de la technologie et un soutien renforcé aux agriculteurs qui adoptent ces technologies.

L’opinion désormais largement partagée en Afrique est que les problèmes de la faim et de la pauvreté sont étroitement liés et ne peuvent être résolus que par une approche multiforme. Cela implique d’améliorer la productivité agricole, d’augmenter les revenus dérivés de l’activité rurale et de mettre en place des politiques et des institutions permettant de renforcer les capacités des agriculteurs, des éleveurs et des pêcheurs à se sortir du piège de la pauvreté. Le point central des piliers du PDDAA est donc d’augmenter l’approvisionnement alimentaire tout en réduisant en même temps la pauvreté, à travers un partenariat pragmatique entre le secteur public et le secteur privé, ainsi qu’entre le public et les producteurs.

L’Afrique étant particulièrement affectée par la sécheresse, le NEPAD appelle les gouvernements à augmenter leur investissement dans l’irrigation, à permettre aux agriculteurs d’améliorer leur capacité à recueillir l’eau et à étendre les surfaces agricoles irriguées.

La productivité agricole africaine a également été handicapée par le faible niveau d’intrants, d’engrais en particulier. L’apport moyen d’engrais dans le continent a baissé, passant d’environ 35 kg/ha durant les années 1980 à une moyenne actuelle d’environ 26 kg/ha. Cela est dû à une hausse générale du coût unitaire des intrants et à un crédit inadapté aux besoins des producteurs agricoles à faible revenu.

Dans les domaines de la science, de la technologie et de l’innovation, l’Afrique est également restée en arrière par rapport au reste du monde. Une recherche-développement faible, accompagnée d’une dispersion des systèmes d’innovation, a tiré vers le bas les récoltes en Afrique. Le pilier IV du PDDAA du NEPAD appelle donc à un renforcement de l’investissement dans la recherche agronomique, le développement technologique et la vulgarisation. Il y a déjà des signes encourageants dans certains secteurs, comme le manioc et le riz (encadré 2).

Encadré 2. Science, technologie et innovation : le riz NERICA

Après des années de sélection, les chercheurs du Centre du riz pour l'Afrique (WARDA) en Côte d’Ivoire ont réussi avec l’aide de l’Institut international de recherches sur le riz (IRRI) aux Philippines à croiser une variété de riz africain ancienne et rustique (Oryza glaberrima) avec une variété asiatique plus fragile, mais plus productive (Oryza sativa). Les nouvelles variétés obtenues, appelées « NERICA » (Nouveau riz pour l’Afrique), combinent les meilleures caractéristiques de leurs parents : résistance à la sécheresse et aux ravageurs, rendement élevé même avec peu d’irrigation et d’engrais et un contenu protéinique supérieur à tous les autres riz. Une dizaine de variétés de riz NERICA sont actuellement utilisées par les agriculteurs, principalement dans les zones de production de riz pluvial d’Afrique de l’Ouest. Sans engrais, les variétés NERICA permettent des rendements de l’ordre de 1,5 à 2,5 tonnes de riz à l’hectare, contre 1 tonne ou moins pour les variétés traditionnelles. Avec un apport d’engrais, même faible, les rendements passent à 3,5 tonnes à l’hectare. De plus, les caractéristiques du riz NERICA le rendent très populaire auprès des agricultrices car il les affranchit d’une grande partie du travail qui était nécessaire avec les variétés traditionnelles.

Source : WARDA

De meilleures infrastructures

En améliorant les routes africaines et les réseaux de transport, on améliorera la productivité agricole. Les mauvaises infrastructures des zones rurales africaines réduisent l’accès des agriculteurs aux marchés et aux intrants, comme les engrais ; elles empêchent également le transfert des produits alimentaires depuis les zones excédentaires vers les zones déficitaires. L’amélioration des transports entre les villes et les campagnes aidera les agriculteurs à bénéficier de nouvelles technologies et d’un meilleur accès aux intrants agricoles ; ils pourront également augmenter leurs revenus s’ils sont en mesure de vendre leurs produits sur les marchés.

Le PDDAA est-il une solution pour la sécurité alimentaire en Afrique subsaharienne ?

Pour être à même de mesurer la capacité du PDDAA à résoudre le problème de la sécurité alimentaire en Afrique, il faut se placer à la fois dans une perspective institutionnelle et dans une perspective politique. Le PDDAA est dès le départ une vision proprement africaine de la croissance économique et de la réduction de la pauvreté, et elle a le soutien des dirigeants africains. Aucun des efforts précédents de développement de l’Afrique subsaharienne n’a jamais bénéficié d’un tel niveau d’approbation politique à l’échelle du continent. Le PDDAA s’attaque à des problèmes qui sont pour la plupart connus, mais propose pour la première fois un effort complet et crédible pour les résoudre, dans un processus intégré et efficace. On distingue bien, en filigrane du plan de mise en œuvre du PDDAA, le besoin de partenariat à tous les niveaux. Aux côtés de partenaires du type organisations paysannes, acteurs économiques agricoles nationaux et internationaux et communautés économiques régionales, le NEPAD peut faire travailler les gouvernements africains ensemble et contribuer à ce qu’il y ait une cohérence et une action coordonnée en matière de politiques régionales clés : commerce, standards de sécurité alimentaire et contrôle des maladies et des ravageurs transfrontières. Le principal défi pour le NEPAD est de répartir harmonieusement les priorités entre les niveaux régionaux et nationaux, de façon à ce que chacun reçoive un soutien adapté, ainsi que de s’assurer que la mise en place progresse rapidement en passant par une consultation des parties prenantes et un dialogue politique.

Note

  1. Mkandawire R.M. et K. Albright. 2006. Achieving Food Security: What next for Sub-Saharan Africa? id21 insight

Pour en savoir plus

Status of Food Security and Prospects for Agricultural Development in Africa, Union Africaine : Addis-Abeba, 2006

Looking Ahead: Long term Prospects for Africa’s Agricultural Development and Food Security, IFPRI 2020 Discussion Paper 41, International Food Policy Research Institute: Washington par Mark W. Rosegrant, Sarah A. Cline, Weibo Li, Timothy B. Sulser et Rowena A. Valmonte-Santos, août 2005

Official Development Assistance to Agriculture, Department for International Development, Grande-Bretagne, Document de travail, 2004

Comprehensive Africa Agriculture Development Programme, Nouveau partenariat pour le développement de l'Afrique (NEPAD), novembre 2002

10/09/2007