Knowledge for Development

Les sciences et les technologies au secours de la sécurité alimentaire et nutritionnelle

Author: Dr Huub Löffler , Ir Niels Louwaars

Date: 10/09/2007

Introduction:

Au siècle dernier, l’augmentation rapide la population mondiale a commencé à faire douter de la capacité de l’agriculture à nourrir le monde. La mise en place de nouvelles technologies a cependant montré que le travail et le sol pouvaient tous deux voir leur productivité améliorée de façon spectaculaire. La figure 1 montre comment une augmentation rapide de la production de céréales en Hollande est allée de pair avec une diminution spectaculaire de la main-d’œuvre, un exemple de la façon dont les sciences et les technologies peuvent permettre d’augmenter la production alimentaire et d’améliorer la sécurité alimentaire.


 

Au siècle dernier, l’augmentation rapide la population mondiale a commencé à faire douter de la capacité de l’agriculture à nourrir le monde. La mise en place de nouvelles technologies a cependant montré que le travail et le sol pouvaient tous deux voir leur productivité améliorée de façon spectaculaire. La figure 1 montre comment une augmentation rapide de la production de céréales en Hollande est allée de pair avec une diminution spectaculaire de la main-d’œuvre, un exemple de la façon dont les sciences et les technologies peuvent permettre d’augmenter la production alimentaire et d’améliorer la sécurité alimentaire.

La création en 1971 du Groupe consultatif pour la recherche agricole internationale (GCRAI) a coïncidé avec la mise en place rapide et couronnée de succès de nouvelles technologies dans de nombreux pays. On appelle cette adoption rapide Révolution verte ; elle s’est déployée, avec des rythmes différents, en Asie et en Amérique latine. Ces deux régions ont très bien réussi à augmenter leur production alimentaire et à améliorer la sécurité alimentaire et nutritionnelle. La figure 2 montre que la disponibilité alimentaire par habitant y a considérablement augmenté durant les quatre dernières décennies, mais également que l’Afrique n’a pas été touchée par la Révolution verte. Parce que l’augmentation de la population n’a pas été accompagnée d’une augmentation de la production alimentaire, la disponibilité alimentaire par habitant a diminué durant les dernières décennies en Afrique subsaharienne : la situation alimentaire y est maintenant pire qu’il y a quarante ans.

Cependant, le succès dans d’autres parties du monde permet d’affirmer clairement que les sciences et les technologies peuvent et devraient jouer un rôle décisif dans l’augmentation de la production alimentaire et l’amélioration de la sécurité alimentaire et nutritionnelle.
En tentant de comprendre pourquoi la Révolution verte ne s’est pas traduite dans les faits en Afrique, nous devons garder à l’esprit les nombreuses spécificités africaines. Tout d’abord, la Révolution verte est centrée sur trois cultures vivrières : le maïs, le riz et le blé. Or, il n’y a pas de culture dominante en Afrique, une région qui se caractérise par une diversité des systèmes agraires. Ces systèmes agraires sont hétérogènes et l’élevage y joue un rôle important, également important en ce qui concerne la sécurité alimentaire. Ensuite, il y a prédominance de sols dégradés, souvent peu fertiles et les précipitations sont irrégulières. Ce sont deux facteurs décisifs de limitation de la productivité agricole. La production est encore diminuée par les plantes endémiques et par les maladies animales. Un autre aspect typique de la situation africaine est la densité de population relativement faible par rapport à d’autres régions du monde comme l’Asie. Le sous-investissement dans les domaines de la recherche-développement agronomique et des institutions et des infrastructures rurales y est fréquent. De nombreuses parties de l’Afrique manquent d’une infrastructure de connaissances et d’organismes universitaires efficaces : fuite des cerveaux et manque de blé. C’est enfin le régime foncier coutumier qui règle les rapports entre les hommes et la terre.

Bien sûr, la productivité agricole n’est pas le seul facteur de l’amélioration de la sécurité alimentaire. La faim n’est pas uniquement une question de manque d’accès à la nourriture ; des politiques adéquates, des ressources, des marchés et une distribution qui fonctionne sont tout aussi nécessaires. Les environnements économiques et politiques sont pourtant souvent pauvres, avec pour conséquence un dysfonctionnement des marchés locaux et régionaux et un manque de ressources et de services. Les pays africains ont souvent du mal à influer sur les politiques mondiales.

Le succès de la Révolution verte en Asie et en Amérique centrale pousse certains à appeler à une Révolution verte africaine. En raison de la complexité de la situation africaine et de la diversité des régions africaines, l’InterAcademy Council a pourtant appelé à une « Évolution arc-en-ciel » dans son rapport sur la réalisation de la promesse et du potentiel de l’agriculture africaine (1). L’idée d’arc-en-ciel est une référence à la nécessité de nombreuses actions concertées qui seraient différentes d’une région à l’autre ; celle d’évolution au fait qu’aucun changement ne peut être mis en place sans se servir comme de point de départ de la pratique culturale actuelle des différents systèmes agraires.

Ce qu’il est possible de faire

Grâce aux Objectifs du Millénaire pour le développement (OMD), l’agriculture est de nouveau à l’ordre du jour du développement. De nombreuses études sont publiées, ou vont l’être, qui portent sur la capacité de l’agriculture à atteindre les OMD. Le rapport sur le développement mondial de la Banque mondiale WDR2008 sera consacré à ce sujet. Des versions de travail du rapport international sur les sciences et technologies agronomiques pour le développement (International Assessment of Agricultural Science and Technology for Development, IAASTD) ont été diffusées pour avis ; le rapport final est attendu pour la fin de cette année. Les principales études sont résumées dans le rapport sur le rôle de l’agriculture dans la réalisation du premier OMD (2). La plupart des études s’accordent sur le rôle majeur que les sciences et technologies agronomiques ont à jouer pour améliorer la sécurité alimentaire, mais aussi sur le fait qu’il faut agir pour exploiter complètement leur potentiel. Il faut également s’occuper des questions concernant les marchés fonctionnels, l’accès aux ressources et aux marchés, le renforcement des capacités et les remaniements institutionnels. Ce n’est que si tout se combine et s’équilibre que le potentiel de la technologie s’exprimera pleinement.

Le rôle des sciences et des techniques

Une mise en place efficace des sciences et des technologies nécessite un certain nombre d’ajustements. Le modèle linéaire du savoir, où le savoir se propage de la recherche vers l’utilisateur final par le truchement de la vulgarisation et de l’enseignement, est dépassé. Il faut adopter à la place une autre démarche où des équipes interdisciplinaires provenant des quatre composantes que sont les systèmes nationaux de recherche agronomique, les universités, les services de vulgarisation et les organisations paysannes se constituent et préparent des plans de travail pour la recherche fondamentale comme pour la recherche appliquée. Cela demande un renforcement des organisations paysannes. Ce n’est pas nécessairement au niveau gouvernemental qu’il est le plus indiqué d’organiser cela : les ONG sont mieux à même de renforcer les agriculteurs.

La version de travail du WDR2008 porte l’espoir que la « nouvelle agriculture » montrera la voie pour que les pays essentiellement agricoles sortent de la pauvreté et de la faim. La nouvelle agriculture fait appel aux sciences et technologies avancées pour obtenir des plants de grande valeur, permettant ainsi aux pays essentiellement agricoles d’accéder au marché mondial. Cette stratégie est sous-tendue par l’attention que le monde entier porte à l’agriculture biologique, un secteur où les produits agricoles acquièrent rapidement de la valeur. Le prix réel (corrigé de l’inflation) du blé dans le monde, par exemple, était tombé de 300 $ US la tonne en 1962 à 100 $ en 2002 (3) ; les estimations récentes OCDE/FAO (4) prévoient qu’il remontera à 185 $ dans les cinq ans à venir. De même, le prix du riz devrait remonter de 160 $ en 2002 à 300 $ en 2012. Pour exploiter pleinement le potentiel de cette nouvelle agriculture, les pays doivent accéder à la recherche de pointe, ce qui demande des efforts au niveau régional et un renforcement des systèmes de recherche agronomique nationaux ou régionaux.

Quoique la nouvelle agriculture puisse être un moyen de sortir de la pauvreté, c’est une option qui n’est ouverte qu’à ceux qui peuvent accéder aux ressources, aux services et aux marchés. Les agriculteurs pauvres qui produisent essentiellement pour leur propre consommation ne seront pas concernés à court terme. Ce dualisme est pris en compte par le WDR2008 et demande une recherche et un développement différents selon qu’ils s’adressent aux agriculteurs qui ont cette possibilité d’accès ou à ceux qui ne l’ont pas. Les sciences et les technologies doivent offrir des possibilités d’optimiser la productivité dans des contextes agro-écologiques et socio-économiques différents ; cela passe par l’analyse et le dépassement des limitations au sein de la chaîne alimentaire, de la fourniture d’intrants à la consommation, en passant par la production et la transformation (figure 3).

Les sciences et les technologies coûtent cher. Une intensification de l’investissement est nécessaire pour pouvoir faire croître la productivité agricole. Les pays les moins développés sont très à la traîne en ce qui concerne leurs investissements en recherche-développement agronomique. Quoique l’investissement privé doive être encouragé, l’investissement public est nécessaire pour combler le fossé entre l’agriculture commerciale et l’agriculture de subsistance. La communauté des bailleurs de fonds devrait jouer un rôle important, mais les pays africains doivent particulièrement intensifier leurs propres efforts. Si l’on est d’accord que l’agriculture est le moteur du développement économique, et que les sciences et les technologies servent de démarreur, l’investissement des pays africains dans les sciences et technologies agronomiques est un investissement dans leur propre futur. Les pays en développement doivent agir par eux-mêmes et créer un environnement favorable. Avec l’aide de la communauté internationale, avec un contexte stabilisé, il n’y a pas de raison qu’ils ne profitent pas des sciences et des techniques agronomiques comme la plupart des autres régions du monde l’ont fait, et en tirent parti pour améliorer la sécurité alimentaire et nutritionnelle.

Notes:

  1. InterAcademy Council (2004) : Realizing the promise and potential of African agriculture. Science and Technology strategies for improving agricultural productivity and food security in Africa.
  2. Wageningen International (sous presse) : The Role of Agriculture in Achieving MDG1: Summaries of and comments on leading reports.
  3. FAO (2004) : The state of agricultural commodity markets.
  4. OECD/FAO (2007) : Agricultural outlook 2007-2014.
10/09/2007