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Comment faire pour que les normes contribuent à améliorer la performance des filières de production agricole?

Author: Dr. Sietze Vellema

Date: 18/10/2007

Introduction:

Les conditions de qualité et de sécurité sanitaire requises dans les filières agroalimentaires pour qu’un produit puisse passer les frontières sont devenues strictes et rigides, cela à cause des réglementations publiques – telle la législation alimentaire générale européenne – et des systèmes volontaires de réglementation privée, comme EurepGAP, une norme « départ exploitation » mise en place par les détaillants européens. Les normes sont conçues d’abord pour que le consommateur conserve sa confiance envers la qualité et la sécurité sanitaire des aliments, ensuite pour réduire au minimum l’impact des pratiques culturales sur l’environnement, optimiser l’usage des intrants et sauvegarder la santé et la sécurité des travailleurs. Cela montre que les exigences de qualité et de sécurité sanitaire portent de plus en plus, au-delà du produit lui-même, sur les questions de durabilité environnementale et de bien-être social qui sont liées au processus de production . On peut s’attendre, dans les prochaines années, à ce que les organisations de producteurs et les acteurs de l’industrie et du commerce international cherchent à articuler ensemble leurs réglementations, peut-être en concertation avec les agences gouvernementales.


 

Cet article étudie la façon dont ces normes et ces réglementations produiront l’effet désiré. Il se penche pour cela sur l’impact de la capacité d’innovation en amont de la filière agroalimentaire et sur le fait que mettre en place des normes de qualité et des réglementations sanitaires revient de plus en plus, finalement, à prescrire des technologies et des procédures standard. Il part de la présomption que la solidité d’une filière repose sur un équilibre entre pratiques prescrites et contrôlables, d’une part, savoirs locaux et technologies adaptées à la spécificité du produit, d’autre part. Il faut ensuite examiner, et c’est là que réside le défi, comment on peut garantir sécurité sanitaire des aliments, qualité et durabilité tout en forgeant une capacité d’innovation technologique en amont des filières agroalimentaires . Il est suggéré que l’on peut parvenir à la viabilité en combinant contrôle de la performance, prise de mesures de correction et stimulation de la capacité d’innovation.

Dans les filières de valorisation, les dispositions institutionnelles ont tendance à diluer les responsabilités, ou au contraire à les concentrer . Dans le commerce agroalimentaire international, par exemple, la responsabilité des performances est de plus en plus diluée sous couvert de systèmes volontaires de réglementation ou de contrats de fermage. En même temps, les acheteurs veulent quand même que les conditions de performance soient remplies, et veulent le vérifier par des procédures hiérarchiques strictes. On arrive là à une situation paradoxale. L’entreprise cliente veut exercer un suivi des critères génériques de performance pour renforcer son image publique, mais la mise en place de la qualité – du produit comme du processus de production – passe tout autant par la capacité des fournisseurs en amont à gérer des évènements complexes où toutes sortes de risques et d’incertitudes menacent la performance.

La qualité du produit, par exemple, résulte de processus biologiques dans la plante, de changements microclimatiques, de la fertilité du sol, des méthodes de récolte et de post-récolte et de la gestion des ressources humaines. Aussi, se borner à prescrire des pratiques fixées ou universelles – comme c’est souvent le cas dans les normes – ne permettra probablement pas de renforcer, en amont de la filière de production agroalimentaire, la capacité à maîtriser les dynamiques et la variabilité qui sont le lot des systèmes de production basés sur la nature, et encore moins de trouver des moyens de modifier les conditions sociales et le comportement humain . On comprendra que le principal défi pour les acteurs des filières de production alimentaire – exploitations agricoles, entreprises et autres – est d’arriver à articuler crédibilité du suivi et flexibilité de la formation et de l’innovation technologique. Ce dosage semble être un élément essentiel pour l’établissement d’une filière de production alimentaire viable, c’est-à-dire capable de répondre aux changements et aux pressions externes. Il est suggéré que la viabilité est fonction de plusieurs paramètres : contrôle de la performance, possibilités de retour d’information et capacité interne à corriger le tir.

Le paradoxe étudié ici n’est pas forcément un problème en soi ; il pourrait même rendre plus viable la capacité technologique et coopérative d’une filière agroalimentaire donnée. Ce qui pose plus problème, c’est que les conditions de sécurité sanitaire et de qualité qui sont de plus en plus imposées par les institutions aux filières agroalimentaires pour le passage des frontières pèsent de façon disproportionnée sur un côté de la balance – elles prescrivent des pratiques génériques –, ce qui laisse peu de place à l’élaboration de savoirs et au choix d’options technologiques ajustées aux conditions socio-économiques et agro-écologiques particulières. Cette tendance peut apparaître en contradiction avec le renforcement de la capacité d’apprentissage et d’innovation en amont des filières agroalimentaires. Il ne serait donc pas raisonnable de penser que les normes de performance conduisent automatiquement au renforcement de la capacité technologique en amont de la filière agroalimentaire.

On voit par là que les normes renforcées du commerce international représentent une incitation, mais ne suffisent pas à améliorer réellement la performance. Cet article se focalise sur la façon d’organiser la capacité d’innovation à l’amont des filières agroalimentaires : c’est là que la plupart des améliorations de la performance, tant attendues, devraient voir le jour. Deux questions institutionnelles viennent se mettre en évidence. D’un côté, l’innovation technologique peut évoluer par l’interaction des différents acteurs de la filière agroalimentaire avec des acteurs institutionnels comme les organismes de recherche-développement ou l’industrie d’autres secteurs. D’un autre côté, l’innovation technologique peut être intégrée aux relations fonctionnelles entre acteurs au sein de la filière.

Un article de Vellema et Danse (2007) tire des leçons de deux aspects institutionnels de l’évolution technologique dans les filières agroalimentaires. Cet article examine tout d’abord la perspective d’un système national d’innovation (SNI) qui met l’accent sur la nécessité de créer une interaction et des processus intermédiaires comme condition de l’innovation technologique. Il propose une alternative aux approches plus linéaires qui ont tendance à voir le développement technologique comme une application des avancées scientifiques. Quoi que le SNI s’attache particulièrement au fonctionnement des organismes publics de recherche, il s’intéresse à la répartition des responsabilités entre acteurs publics et privés dans le contexte d’une filière agroalimentaire. L’innovation apparaît dans des réseaux abritant de multiples compétences technologiques. Le SNI met l’accent sur les interactions continuelles entre utilisateurs et fournisseurs de savoir et de technologie. En conséquence, cette vision souligne la contribution des organisations de producteurs ou d’intermédiaires qui agissent, dans leur diversité, comme des agents entre acteurs du savoir . Le fait de mettre en place des mécanismes de retour d’information et de faciliter les interactions semble plus important que de se fixer sur les formes institutionnelles de l’innovation technologique. Les expériences passées de mise en place de pépinières économiques spécialisées au niveau régional montre que l’investissement dans des organisations intermédiaires socialement intégrées est propice à un développement économique local basé sur l’innovation .

L’article se penche ensuite sur l’équilibre entre les facteurs actifs et passifs qui régissent le choix de l’innovation technologique au sein de la filière. À cet effet, on y étudie l’approche dite de « base de la pyramide » (BoP en anglais), qui attribue un rôle privilégié au secteur privé dans l’innovation technologique . Un aspect important de cette approche est qu’elle considère les utilisateurs d’un nouveau produit comme des clients, pas comme de simples récepteurs. En introduisant une telle perspective commerciale, elle fait apparaître de nouvelles dynamiques entre demande et offre d’innovation technologique. L’approche BoP remet en cause la tendance qu’ont la plupart des modèles d’entreprise à ignorer le pouvoir d’achat des utilisateurs à faibles revenus. Cela s’applique également aux technologies proposées aux exploitants agricoles : on attend d’eux qu’ils reçoivent et mettent en place dans leurs systèmes de culture des technologies modernes prédéfinies. Les normes mises en place dans le commerce alimentaire international semblent également reposer sur cette assertion. On trouve rarement dans les filières agroalimentaires des mécanismes institutionnels clairs permettant de formuler la demande en nouvelles technologies des utilisateurs à faibles revenus et de la traduire en processus commercialement viables d’innovation technologique. Lier l’innovation technologique à la notion de services inclus est une approche alternative intéressante. Un agent intermédiaire dans une filière agroalimentaire, par exemple, responsable à l’origine de la collecte de produits agricoles peut également avoir pour tâche de se servir du flux d’information lié pour des échanges de savoir et pour exprimer une demande de technologie spécifique auprès des entreprises acheteuses. Cela peut devenir un service financièrement viable si le producteur en obtient comme résultat des solutions sur mesure.

Les deux approches, SNI et BoP, mettent en avant le fait que l’innovation technologique part d’interactions institutionnelles au sein d’un réseau d’acteurs publics et privés auxquels il faut ajouter les consommateurs des marchés locaux. L’approche SNI est plus ouverte, soulignant l’importance des interactions et des organisations intermédiaires qui mettent ensemble des compétences différentes, alors que l’approche BoP s’attache au processus de sélection et de formulation de la demande qui permet de créer de nouveaux produits et services exactement adaptés aux marchés à faibles revenus. En combinant les deux approches, on pourrait parvenir à des modalités institutionnelles de changement technologique dans les filières agroalimentaires qui seraient basées sur les capacités enracinées dans le terreau social et les demandes des marchés locaux.

Une coordination de l’innovation est nécessaire pour améliorer les capacités d’innovation des acteurs de la filière. Il faut également une politique stratégique intervenant dans les sphères publique et privée et mettant en rapport une innovation technologique plus radicale avec les processus de changement incrémental et d’adaptation qui sont propres aux applications concrètes dans le monde du travail. Cela ouvre des possibilités de relier, d’une part, les dispositions d’origine commerciale dans les filières de valorisation et les marchés et, d’autre part, des dispositions institutionnalisées dans des réseaux d’innovation. Construire un tel modèle de coopération, au lieu de se reposer uniquement sur des pratiques normalisées et des rendements économiques, demande des investissements et des interventions réfléchies et stratégiques de la part des acteurs de la filière, en alliance avec les autres parties prenantes. Et bien sûr, il n’y a personne pour vous dire comment il faut s’y prendre.

Cet article ajoute une composante essentielle au poids qui est mis sur les normes et autres formes de réglementation volontaire de la performance qui figurent dans les filières agroalimentaires. Il pose la question de savoir comment faire pour que ces instructions et ces protocoles apportent quelque chose à l’innovation technologique en amont de la filière. L’accent mis sur les dynamiques institutionnelles de l’innovation technologique complète celui placé sur les conditions unilatérales de performance exprimées à travers les normes. Il suggère que l’amélioration des performances ne peut être atteinte que par un processus itératif souple qui connecte les facteurs d’offre et de demande au sein de la filière et relie chaque étape à des acteurs de l’innovation situés en dehors de la filière. Cela peut apparaître en décalage avec la pratique actuelle de normes et de réglementations des filières agroalimentaires qui repose essentiellement sur des procédures technologiques universelles. Les chercheurs ACP sont encouragés à travailler en étroite collaboration avec l’industrie agroalimentaire et les gouvernements pour trouver des solutions techniques permettant de se conformer aux réglementations internationales de sécurité sanitaire et de qualité des aliments, qu’elles soient imposées ou volontaires.

Sietze Vellema (PhD) – Chef du Programme Chains, Innovation & Development de l’Agricultural Economics Research Institute (LEI) et professeur assistant en technologie et développement agricole à l’université de Wageningen.

Notes

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18/10/2007