Harmonisation de la politique des semences en Afrique orientale et centrale : enseignements tirés d’un modèle de partenariat public-privé
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Michael Waithaka, responsable du « Policy Analysis and Advocacy Program », Association pour le renforcement de la recherche agricole en Afrique orientale et centrale
et
Miriam Kyotalimye, assistante du programme, Association pour le renforcement de la recherche agricole en Afrique orientale et centrale
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Introduction
Ces dernières années, les partenariats public-privé ont été recommandés comme modèles pour attirer des investissements, optimiser les ressources, améliorer l’efficacité et renforcer la mise en œuvre et l’impact des interventions visant à améliorer les performances du secteur agricole, notamment dans les pays en développement. Le Comité des semences de l’Afrique de l’Est (EASCOM, Eastern Africa Seed Committee) montre l’exemple d’un partenariat public-privé qui a évolué pour combler les lacunes en matière de politiques et de pratiques en ce qui concerne la de production et le commerce de semences dans 11 pays d’Afrique orientale et centrale. Cet article aborde les origines de l’EASCOM, sa mission, ses mécanismes de fonctionnement et ses réalisations et passe en revue la façon dont l’EASCOM a donné la priorité à l’harmonisation des politiques semencières et aux facteurs et ressources mobilisés afin de générer des résultats fructueux.
Genèse du Comité des semences de l’Afrique de l’Est
Dans les années 1960, les pays africains et asiatiques étaient supposés présenter un niveau de développement analogue du point de vue de certains paramètres tels que les taux de croissance économique. À l’horizon des années 1990, les pays asiatiques avaient réalisé des progrès remarquables en termes de performance économique et leurs secteurs agricoles s’étaient métamorphosés et enregistraient des excédents alimentaires. Durant cette même période, les pays africains n’ont pas connu un niveau de croissance économique équivalent et, à ce jour, beaucoup luttent encore pour transformer leurs secteurs agricoles. Parmi les facteurs handicapants, on trouve l’adoption restreinte de nouvelles technologies optimisées, telles que les semences améliorées. Il existe plusieurs raisons à cette situation, notamment les faibles investissements en recherche et développement, l’accès limité aux semences améliorées (par ex. des variétés à haut rendement), la complexité et le caractère contradictoire des politiques et la fragilité des institutions.
En 1999, afin de répondre à ces problèmes, l’Association pour le renforcement de la recherche agricole en Afrique orientale et centrale (ASARECA) a analysé la situation de la politique du secteur des semences en Afrique orientale et centrale et en a conclu qu’il était nécessaire de promulguer et de mettre en œuvre des politiques, des réglementations et des procédures harmonisées en matière de semences.
Cette initiative portait initialement sur le Kenya, la Tanzanie et l’Ouganda. D’autres pays étaient également concernés, mais principalement en tant qu’observateurs dans le cadre d’ateliers régionaux. Il était évident que des réformes réglementaires exigeaient la participation active d’intervenants issus des sphères techniques, politiques et législatives. Des accords techniques portant sur des normes, des procédures et des réglementations pour le secteur semencier et s’appuyant sur des meilleures pratiques et sur des preuves scientifiques ont été soumis à différents acteurs, dont des décideurs politiques, des régulateurs, des producteurs de semences et des agriculteurs.
Des personnes-ressources ont rédigé des documents pour chaque pays pilote, en détaillant des options politiques visant à : faciliter la libre circulation des semences et autres matériels génétiques par-delà les frontières ; créer un marché national des semences afin de permettre des économies d’échelle et de gamme dans la production semencière ; attirer des investissements dans le domaine de la multiplication et de la distribution des semences ; et enfin, améliorer la prestation de services liés à la livraison de semences aux agriculteurs. À partir de ce constat, des intervenants représentant le secteur privé, des sélectionneurs, des régulateurs et des décideurs politiques issus des pays pilotes, mais aussi des observateurs provenant des pays non pilotes, se sont mis d’accord sur des thèmes transversaux en vue d’une rationalisation à l’échelle nationale et d’une harmonisation à l’échelle régionale. Les accords techniques sur l’harmonisation des politiques semencières s’articulaient autour de cinq domaines clés : évaluation et commercialisation de variétés ; certification de semences ; protection des variétés végétales ; réglementations phytosanitaires et procédures d’importation et d’exportation de semences (ECAPAPA, 2002). Ces accords ont permis d’identifier les domaines où une réforme de la réglementation et des procédures s’imposait à l’échelle nationale. Un groupe de travail régional a été mandaté afin de mettre en œuvre les modifications envisagées. Les problèmes administratifs/procéduraux ont pu être traités dans le cadre de la législation actuelle, mais moyennant des améliorations concernant les procédures et les réglementations administratives. Toutefois, les modifications souhaitées concernant les questions législatives ont dû attendre un examen des lois requises et ont été ajustées à la législation actuelle dans la mesure où cela était possible.
En 2002, les réformes envisagées n’avaient que peu progressé, principalement en raison d’un déséquilibre dans la représentation qui favorisait les sélectionneurs au sein du groupe de travail régional. L’EASCOM a été fondé en 2004 au moyen d’un partenariat public-privé plus équilibré. Dans chaque pays, il a réuni des représentants du secteur privé par le biais de l’association nationale du commerce des semences ; le bras technique par le biais de l’association nationale des sélectionneurs ; le bras régulateur par l’agence nationale de certification des semences, et le bras politique par le ministère de l’Agriculture. La mission et les responsabilités de l’EASCOM sont les suivantes : révision des politiques, législations et réglementations en matière de semences ; renforcement des associations nationales de sélectionneurs et de commerce de semences ; mise en œuvre des accords harmonisés ; développement et maintenance des bases de données ; renforcement des capacités ; développement du marché des semences et représentation au sein des blocs économiques régionaux. Les différents points sont discutés plus en détail dans le paragraphe suivant.
Accomplissement de la mission de l’EASCOM
Révision des politiques, des législations et des réglementations en matière de semences
La révision des législations sur les semences dans les pays membres de l’ASARECA s’appuie sur les accords techniques. L’EASCOM a soutenu les processus de révision par des intervenants nationaux, a fourni un appui technique et une assistance juridique pour la rédaction du projet et a facilité les communiqués de presse et les réunions à huis clos du parlement. Réalisations à ce jour :
- Tanzania Seed Act of 2003;
- Rwanda Seed Act of 2003;
- Uganda Seed and Plant Act of 2006;
- Tanzania Seed Regulations of 2007;
- Kenya National Performance Trials Regulations of 2009;
- Burundi Seed Act of 2012; and
- Kenya Seed Policy of 2012.
Le projet de proclamation d’une loi sur les semences en Éthiopie en 2013, le projet de loi sur les semences et les variétés végétales (amendement) au Kenya en 2012 et la loi sur la protection des obtentions végétales en Tanzanie en 2012 ont créé la dynamique nécessaire pour accéder à l’Union internationale pour la protection des obtentions végétales (UPOV, 1991) et les réglementations sur les semences en Ouganda sont en attente de publication.
Alors que l’harmonisation avait pour but d’amener des pays à s’entendre sur certains domaines clés touchant au secteur formel des semences, le secteur informel n’a pas pour autant été négligé. En Tanzanie, la loi sur les semences promulguée en 2003 reconnaît les semences de ferme par le biais d’un système de qualité certifiée. Au Kenya et en Ouganda, la révision des lois a permis la reconnaissance officielle du secteur informel.
Renforcement des capacités
Afin de contribuer à la bonne mise en œuvre du régime harmonisé, l’EASCOM a facilité la formation à court terme de plus de 2 000 acteurs du secteur semencier à travers la Communauté d’Afrique de l’Est (EAC) sur des sujets tels que le développement de descripteurs de variétés, les procédures interinstitutionnelles de certification de semences, la conformité avec l’Association internationale d’essais de semences (ISTA, International Seed Testing Association), la convention UPOV, les règles de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et la production de semences de qualité en général. La formation régionale vise à exploiter les opportunités disponibles au sein de centres d’excellence régionaux tels que le Service d’inspection phytosanitaire du Kenya (KEPHIS) afin de promouvoir la normalisation des procédures et d’instaurer la confiance parmi les régulateurs. La formation nationale a pour objectif de combler les lacunes locales en matière de capacités prioritaires, tout en maximisant le nombre de personnes formées à un coût minimal.
Représentation au sein des blocs économiques régionaux
En juillet 2013, lors d’une réunion ministérielle conjointe du COMESA, l’EASCOM a contribué au développement de réglementations sur les semences dans le cadre de l’accord tripartite entre l’EAC, le Marché commun de l’Afrique orientale et australe (COMESA) et la Communauté de développement d’Afrique australe (SADC).
Développement du marché des semences
L’harmonisation des politiques semencières dans l’EAC a contribué à une plus grande participation du secteur privé dans la filière, avec pour conséquence un accroissement des variétés sélectionnées et commercialisées par le secteur privé. Entre 2000 et 2008, 14 entreprises semencières ont commercialisé 140 variétés au Kenya, soit un taux de croissance de 270 % par rapport aux 38 variétés commercialisées entre 1981 et 1999. Parmi celles-ci, 43 variétés étaient issues d’entreprises semencières privées (Waithaka et al., 2012). La menace pesant sur préservation de la diversité génétique a été réduite au minimum étant donné que les nouvelles lois sont conformes à la Convention sur la diversité biologique et au Traité international sur les ressources phytogénétiques pour l’alimentation et l’agriculture, dont les pays sont signataires. Dans le cas de certaines cultures, le secteur privé n’investit pas dans la production semencière. Cela peut être attribué à diverses raisons, par exemple aux difficultés à encourager la vente continue de semences, notamment pour les variétés à pollinisation libre ou les variétés principalement utilisées pour l’alimentation – comme certains légumes indigènes – et pour lesquelles des rendements supérieurs ne déboucheraient pas forcément sur davantage de bénéfices. Toutefois, ce scénario est en train d’évoluer rapidement, notamment en raison de la demande croissante en légumes indigènes africains.
Dans le cadre d’une initiative menée par l’ASARECA , les agriculteurs s’associent : à des entreprises semencières du secteur privé pour lesquelles ils jouent le rôle de cultivateurs sous-traitants (par ex. pour la Kenya Seed Company) ; à des chercheurs, les agriculteurs s’organisant en groupes et collaborant avec des instituts de recherche (par ex. le Kenya Agricultural Research Institute et le Selian Agricultural Research Institute à Arusha, Tanzanie) afin de produire des semences de qualité certifiée ; et enfin, à des organismes de réglementation (par ex. le Service d’inspection phytosanitaire du Kenya et l’Institut tanzanien de certification officielle des semences) afin de produire et de conditionner les semences de qualité certifiée. Les agriculteurs ont également tiré profit de l’amélioration de qualité : les semences sont améliorées et leur sont distribuées sous la forme de semences de base qu’ils peuvent ensuite vendre sur le marché libre. Cette démarche a permis d’augmenter les revenus des agriculteurs et a contribué à améliorer le niveau de vie, tant au Kenya qu’en Tanzanie. Les semences des agriculteurs sont désormais reconnues comme une bonne alternative à certaines variétés à pollinisation libre, telles que le haricot commun. Ainsi, les efforts des prestataires de services du secteur privé en faveur de la préservation des semences de base et le renforcement de la capacité des agriculteurs à les préserver sur leurs exploitations (par ex. le projet sur les haricots de l’université de Nairobi) permettent de tirer des leçons afin d’élaborer de nouvelles initiatives visant à la transposition de modèles efficaces.
Meilleures pratiques dans le cadre des initiatives de réforme des politiques régionales
L’engagement de l’EASCOM en faveur de l’harmonisation des politiques semencières peut permettre de tirer des enseignements précieux pour le transfert des meilleures pratiques vers d’autres régions :
- Faciliter les partenariats rassemblant le secteur privé et les autorités publiques/réglementaires, car beaucoup de temps est nécessaire pour discuter, instaurer la confiance, parvenir à un consensus et favoriser la coopération sur les thèmes essentiels que sont les changements à apporter, les raisons et les moyens d’y parvenir.
- Il est vital d’identifier les différences et de reconnaître l’importance des divers experts techniques, des scientifiques et des décideurs politiques qui doivent adapter ces accords ; des régulateurs qui doivent veiller à leur mise en œuvre, et enfin des législateurs qui entérinent ces accords pour en faire des projets de lois, puis des lois. Réunir ces diverses équipes afin de dégager une entente commune et ainsi atteindre les objectifs envisagés permet de maintenir un juste équilibre entre encourager une production semencière compétitive et superviser la mise en œuvre de systèmes de contrôle/d’assurance qualité.
- Il est essentiel d’instaurer un dialogue à deux niveaux : national (afin d’identifier et de clarifier les questions à rationaliser) et régional (afin de négocier et de parvenir à un consensus sur les questions devant et pouvant être harmonisées). Avant de s’engager dans des efforts d’harmonisation régionale, il convient de régler les questions épineuses dans leur globalité afin d’assurer des conditions avantageuses pour tous les pays. Après l’harmonisation et le début de la mise en œuvre, les préoccupations majeures portent généralement sur la résolution des problèmes de mise en route tels que la mise à disposition des capacités nationales nécessaires à l’application des procédures harmonisées.
- La promotion de la transparence et de la participation interinstitutionnelle et pluridisciplinaire est essentielle.
- Si l’on veut atteindre les objectifs d’harmonisation, il est indispensable d’identifier, d’avoir conscience et de préserver les distinctions relatives aux questions techniques, administratives/procédurales et politiques/législatives dans les discussions et dans la recherche du consensus.
Bibliographie
ASARECA. 2013. Improved indigenous vegetable seeds boost household incomes, nutrition. Association for Strengthening Agricultural Research in Eastern and Central Africa, Entebbe, Uganda.
http://www.asareca.org/content/improved-indigenous-vegetable-seeds-boost-household-incomes-nutrition
ECAPAPA [Eastern and Central Africa Programme for Agricultural Policy Analysis]. 2002. Harmonization of seed policies and regulations in eastern Africa. Results and agreements. ECAPAPA Monograph Series 4. ECAPAPA, Entebbe, Uganda.
Waithaka, M., Nzuma, J., Kyotalimye, M., Nyachae, O. 2012. Impacts of an improved seed policy environment in ECA. ASARECA Monograph, Entebbe, Uganda.
[1]http://www.asareca.org/content/improved-indigenous-vegetable-seeds-boost-household-incomes-nutrition
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