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Impliquer les universités dans le développement d’un système semencier intégré : les enseignements de l’université de Mekele

Author: M. Fetien Abay, Institut des études sur l’environnement, le genre et le développement, université de Mekele, Éthiopie

Date: 06/11/2013

Introduction:

Cet article vise à présenter la nécessité d’un soutien réglementaire et institutionnel pour le développement d’un système semencier véritablement intégré et au service des petits exploitants africains. L’université de Mekele (UM) est le principal partenaire de mise en œuvre du programme de Développement Intégré du Secteur Semencier (ISSD, Integrated Seed Sector Development) dans la région du Tigré, en Éthiopie, où les agriculteurs dépendent fortement du système semencier traditionnel. En collaboration avec des agriculteurs, des consommateurs, d’autres établissements publics et des sociétés privées, l’UM travaille sur l’élaboration d’interventions utilisant des semences de cultures locales plutôt que les variétés (comme le maïs hybride) préconisées par les entreprises commerciales du secteur semencier formel.


 

Impliquer les universités dans le développement d’un système semencier intégré : les enseignements de l’université de Mekele

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M. Fetien Abay, Institut des études sur l’environnement, le genre et le développement, université de Mekele, Éthiopie

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Introduction

Cet article vise à présenter la nécessité d’un soutien réglementaire et institutionnel pour le développement d’un système semencier véritablement intégré et au service des petits exploitants africains. L’université de Mekele (UM) est le principal partenaire de mise en œuvre du programme de Développement Intégré du Secteur Semencier (ISSD, Integrated Seed Sector Development) dans la région du Tigré, en Éthiopie, où les agriculteurs dépendent fortement du système semencier traditionnel. En collaboration avec des agriculteurs, des consommateurs, d’autres établissements publics et des sociétés privées, l’UM travaille sur l’élaboration d’interventions utilisant des semences de cultures locales plutôt que les variétés (comme le maïs hybride) préconisées par les entreprises commerciales du secteur semencier formel.

Manque d’accès aux variétés améliorées de semences et de plants

À l’heure actuelle, plus de 80 % des semences plantées par les agriculteurs africains sont produites par le secteur semencier informel. Cette situation devrait encore perdurer un certain temps. Dans le système semencier informel, chaque ménage agricole assure toutes les fonctions semencières – le développement, la multiplication, le traitement et la commercialisation des semences. En revanche, le système formel, ou commercial, regroupe des organismes spécialisés, chacun dans leur rôle, dans l’approvisionnement de nouvelles variétés de semences. Dans les secteurs semenciers formels et informels, la collaboration entre les parties prenantes est malheureusement limitée. En conséquence, de nombreux agriculteurs n’ont bien souvent pas accès aux semences de génération précoce de nouvelles variétés améliorées pour un ensemble de cultures vivrières ou de fruits et légumes à forte valeur ajoutée. Afin de faciliter la transformation du secteur semencier, il est essentiel d’établir des liaisons horizontales entre les secteurs informels et formels, à chaque niveau fonctionnel (recherche et développement, production semencière, entreprise). À cet égard, le rôle du secteur public, et notamment des universités, des organismes de recherche et de vulgarisation, est primordial.

Plusieurs facteurs limitent l’accès des petits exploitants africains aux semences améliorées :

  • De mauvaises infrastructures : Les distances importantes entre les agriculteurs et les points de vente des semences, les mauvaises infrastructures routières, les coûts de transport élevés et les structures de stockage inadaptées ont une incidence négative sur la qualité des semences.
  • Des services de vulgarisation inadéquats : Dans de nombreux pays, les services de vulgarisation ne sont pas facilement disponibles ou accessibles. Or, les agriculteurs ont bien souvent besoin de ces services pour se faire accompagner dans leurs choix, pour produire et utiliser des semences de qualité et pour comprendre les avantages qu’ils peuvent en tirer.
  • Une réglementation en matière de semences inadaptée : Dans certains pays, le cadre réglementaire sur les semences encourage les investissements visant à soutenir le développement de systèmes semenciers intégrés et de qualité, tandis que dans d’autres pays le caractère inadéquat ou inapproprié de la réglementation décourage tout nouveau développement de semences. La réglementation sur les semences devrait faciliter l’apparition d’un groupe hétérogène et compétitif de producteurs de semences, tout en protégeant les droits de l’ensemble des producteurs et des clients. Dans de nombreux pays africains, la rigueur des procédures de mise sur le marché des variétés, les droits des sélectionneurs ainsi que la législation protégeant les variétés végétales favorisent les entreprises du secteur semencier formel. La suppression des obligations de certification semencière et des conditions restrictives d’obtention de licences commerciales (comme pour le sorgho et le maïs en pollinisation libre) permettrait aux petits exploitants de produire des semences de qualité et de les vendre entre agriculteurs voisins. La participation de petits exploitants à une production semencière contractuelle permettrait aux entreprises de semences de profiter des systèmes semenciers informels en place au niveau des exploitations. Il est par conséquent important de promouvoir les variétés de semences indigènes et de soutenir les systèmes agricoles fondés sur les principes de biodiversité qui génèrent des échanges de semences à l’échelle locale.

Le programme sur les semences de l’université de Mekele

L’UM est le principal partenaire de mise en œuvre du programme de Développement Intégré du Secteur Semencier (ISSD, Integrated Seed Sector Development) dans la région du Tigré où les agriculteurs dépendent fortement du système semencier traditionnel. Un solide groupe de liaison entre agriculteurs et chercheurs a été mis en place. Ce groupe reconnaît l’importance des agriculteurs-sélectionneurs. Dès le départ, le droit des agriculteurs à accéder pleinement aux variétés améliorées, ainsi qu’à jouir d’une propriété partielle sur les droits d’obtention (y compris la reconnaissance des variétés sélectionnées par les agriculteurs et officiellement mises sur le marché) a été garanti. La proclamation éthiopienne sur les droits des obtenteurs reconnaît également les droits des agriculteurs. 

Dans le cadre de son programme sur les semences, l’UM a mené ses diverses activités en parfaite synergie :

  • Sélection végétale participative (SVP) : Grâce aux efforts combinés de sélectionneurs au sein de l’UM et de communautés agricoles locales, trois variétés d’orge à haut rendement présentant des qualités nutritionnelles supérieures (β-glucanes, Fe et Zn) ont été élaborées et officiellement mises sur le marché par le comité national éthiopien pour la mise sur le marché des variétés (Abrah et al., 2013). Menés par les agriculteurs et orientés en fonction de la demande, les travaux de SVP visaient à augmenter les rendements et la valeur nutritionnelle, tout en renforçant la tolérance des variétés locales aux stresses biotiques et abiotiques. Dans le cadre d’essais de sélection variétale participative, les agriculteurs ont pu de nouveau accéder à des variétés locales menacées d’extinction. Sur la quasi-totalité des sites, les agriculteurs détiennent une part substantielle du marché local pour les semences qu’ils produisent (Abay et al., 2011). Cela démontre que la sélection végétale à partir de variétés adaptées localement « pourrait présenter de nombreux avantages pour les agriculteurs du Tigré » (Abraha et al., 2013, traduction propre).
  • Après avoir identifié des partenaires dans le secteur semencier, une vision commune et un forum de discussion dédié ont été mis en place afin de permettre des échanges réguliers. De hauts fonctionnaires ont par ailleurs été mis à contribution. Ils ont facilité la mise en place de visites d’études dans d’autres pays d’Afrique et d’Asie (auxquelles ils ont également participé) afin d’étudier la nécessité de disposer des systèmes suivants : un système régional d’assurance qualité et de certification, des systèmes régionaux de mise en quarantaine des semences afin d’isoler les semences susceptibles d’avoir été exposées à des maladies contagieuses ou infectieuses, des laboratoires d’analyse de la qualité des semences, un système de contrôle qualité et la participation d’investisseurs privés dans le secteur des semences.
  • Le choix de faire collaborer les différentes parties prenantes pour la multiplication et la distribution de semences de génération précoce s’est imposé comme une stratégie alternative visant à réduire le problème de pénurie de semences de base dans la région. L’UM a organisé des discussions avec les différentes parties prenantes afin de parvenir à un consensus sur le partage des tâches et des responsabilités. Au rang des partenaires, citons l’Institut de recherche en agriculture du Tigré (TARI, Tigray Agricultural Research Institute), l’entreprise semencière éthiopienne ESE (Ethiopian Seed Enterprise) et des investisseurs privés. La deuxième année, la multiplication des premières variétés développées par les agriculteurs et mises sur le marché a atteint 5 000 agriculteurs. L’UM a également produit des semences de génération précoce dans des écoles de villages et redistribué aux agriculteurs les semences multipliées, moyennant un accord portant sur la restitution des semences après récolte et la vente du reste à la communauté locale.
  • Le département de sélection végétale de l’UM continue de participer au développement, à l’enregistrement et à la mise sur le marché de variétés de fèves et d’orge. Les variétés d’orge Felamit, Fetina et Hirity ont déjà été mises sur le marché par le comité national de mise sur le marché des variétés (NVRC, National Varieties Release Committee). Le projet de sécurité semencière par la diversité (Seed Safety Through Diversity) cible les coopératives afin de leur permettre d’accéder à ces variétés améliorées. L’équipe de sélection végétale de l’UM s’est inspirée du même modèle pour étendre ses travaux de sélection au sorgho et à l’éleusine et pour disséminer des semences dans la région du Tigré, dans le nord de l’Éthiopie.
  • Plusieurs actions ont permis de renforcer les capacités à plusieurs niveaux : (1) l’octroi de bourses doctorales à l’étranger en plus des participations aux financements des recherches de doctorat dans le pays ; (2) la mise en place de formations courtes destinées aux experts, agents de développement travaillant avec des entreprises semencières locales (ESL) et à d’autres acteurs de la production semencière ; (3) l’élaboration d’un manuel de formation à la production et à la commercialisation des semences ; (4) la promotion des études et des recherches permettant aux ESL d’améliorer de manière tangible leurs capacités de multiplication, de stockage et de distribution de semences de qualité ; et (5) le parrainage d’étudiants en masters afin qu’ils mènent des recherches thématiques et conçoivent des formations et des programmes de renforcement des capacités destinés aux ESL.
  • Les femmes se sont investies dans l’amélioration des produits alimentaires locaux en utilisant des semences de second niveau pour la transformation des produits. Les ESL ont ainsi pu diversifier leurs activités et mieux cibler les préférences des consommateurs pour certaines variétés et cultures. L’augmentation de la demande de lentilles et de pois chiche dans les coopératives féminines est particulièrement révélatrice. Cette augmentation est en effet à l’origine du partenariat instauré entre des sélectionneurs de l’UM et des sélectionneurs de légumes des centres de recherche de Holetta et Debre Zeit. Le lin a alors bénéficié d’une attention accrue à la fois pour ses qualités de culture de rotation et pour sa valeur nutritionnelle. La demande pour ces cultures, et d’autres, a suscité l’intérêt d’une société privée, NAS Food Company, qui a commencé à préparer divers produits à partir de cultures dites de sécurité alimentaire comme l’éleusine, le sorgho, la lentille et le pois chiche.
  • Des appareils de nettoyage des semences ont été mis à la disposition de deux entreprises semencières locales. Il est prévu que ces appareils nettoient les semences des ESL et de la communauté locale à un prix raisonnable. Outre les gains de temps et de productivité, ces appareils offriront également une source de revenus, une garantie de propreté pour les semences et un argument de compétence dans le secteur semencier.
  • L’utilisation de prospectus, brochures, newsletters, panneaux d’affichage, t-shirts, casquettes, affiches, calendriers et d’Internet (par ex. www.ISSDEthiopia.org) a permis de communiquer sur les expériences et de promouvoir les résultats.

Conclusion

Avec leur imposant corps enseignant hautement qualifié et leur potentiel en recherche agricole, les universités sont actuellement davantage reconnues pour leur enseignement que pour leurs recherches. Les liens avec les autres aspects du système national de recherche et d’innovation en agriculture (NARIs, National Agricultural Research and Innovation System) sont généralement ténus et doivent être renforcés afin de développer la performance agricole. Les universités peuvent envisager d’établir et de renforcer leurs équipes pluridisciplinaires existantes. Elles peuvent également étendre leur soutien au développement de collaborations pluridisciplinaires entre les instituts dont les travaux de recherche portent, en grande partie, sur la résolution de problèmes alimentaires, agricoles, d’économie agricole et de développement rural. Parallèlement à leur mission d’enseignement et d’études supérieures à laquelle ils resteraient associés de près, ces équipes et instituts pourraient en outre mener des recherches ciblées tout en conservant un degré d’autonomie élevé. Ainsi en Éthiopie, les universités de Hawassa et Mekele ont créé l’Institut des études sur l’environnement, le genre et le développement (IEGDS, Institute of Environment, Gender and Development Studies) grâce au soutien de bailleurs de fonds. À l’heure actuelle, les deux instituts mènent des recherches pluridisciplinaires.

Pour ce qui est du programme ISSD, les universités publiques doivent réfléchir aux moyens :

  • d’aider les agriculteurs exposés au manque de semences. Ces derniers risquent en effet de ne pas pouvoir acheter les semences disponibles sur le marché formel alors qu’ils auraient intérêt à pouvoir accéder à des semences de variétés locales de qualité supérieure, plus résistantes à la sécheresse et aux maladies et développées par le biais d’un système informel amélioré ;
  • de mieux identifier et distribuer les variétés améliorées de petites cultures agricoles ne présentant qu’un intérêt commercial modéré. Les semences de nouvelles variétés pourraient être distribuées dans le cadre de prêts en nature. L’établissement d’entreprises semencières locales et de programmes de sélection végétale participative permet d’intégrer les agriculteurs au système semencier dans tous ses aspects. Ces agriculteurs participent ainsi activement aux recherches semencières, au processus de mise sur le marché, à la production de semences et à leur distribution dans le cadre de réseaux d’échanges de semences entre agriculteurs. Il se peut que certains d’entre eux deviennent des entrepreneurs de semences indépendants produisant pour le marché local. Ils peuvent également choisir de travailler sous contrat en tant que producteurs de semences ou encore négocier les semences pour d’autres sociétés semencières publiques ou privées.

D’après les enseignements de l’UM, le rôle accru des universités publiques dans les systèmes semenciers profitant aux petits exploitants agricoles pourrait porter ses fruits.

Bibliographie

Abraha, A., Uhlen, A.K., Abay, F., Sahlstrom, S. and Bjornstad, A. 2013. Genetic variation in barley enables a high quality injera, the Ethiopian staple flat bread, comparable to tef. Crop Science doi: 10.2135/cropsci2012.11.0623
 https://www.crops.org/publications/cs/view/first-look/c12-11-0623.pdf

Fetien, A., Walter, B. and Åsmund, B. 2011. Network analysis of barley seed flows in Tigray, Ethiopia: supporting the design of strategies that contribute to on-farm management of plant genetic resources. Plant Genetic Resources 9, 495-505. 

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