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Le niveau d’investissement optimal dans l’innovation agricole (partie 2)

Author: Johannes Roseboom, conseil en politique d’innovation, Pays-Bas

Date: 11/01/2012

Introduction:

Roseboom note que le benchmarking est la méthode la plus courante pour évaluer le niveau d´investissement gouvernemental dans l´innovation agricole, mais qu´il s´agit d´un outil assez médiocre dans la mesure où il manque de fondement théorique et tend à renforcer le statu quo. Par exemple, bon nombre d´économistes ont affirmé (s´appuyant sur de nombreux éléments tirés d´études ex post sur les taux de rendement de la recherche agricole et les projets de vulgarisation) que l´innovation souffrait d´un grave manque d´investissements. Selon lui, utiliser une technique d´analyse classique coût-avantage permet de calculer le taux de rendement attendu et fournit une réponse théorique pour déterminer le niveau d´investissement optimal dans l´innovation agricole. Dans les faits, cependant, l´investissement dans les projets d´innovation agricole se fait rarement en adoptant cette approche économique rationnelle, que ce soit dans les pays en développement ou les pays développés. La taille de l´investissement optimal dans l´innovation agricole et, a fortiori, sa rentabilité globale sont liées au niveau de développement économique d´un pays, à sa capacité d´innovation et à divers facteurs structurels comme le niveau de connaissance technologique et le niveau de risque et d´incertitude.


 

Le niveau d’investissement optimal dans l’innovation agricole

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Johannes Roseboom, conseil en politique d’innovation, Pays-Bas

E-mail : j.roseboom[at]planet.nl

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Les responsables politiques doivent non seulement prendre des décisions concernant la nécessité d’un soutien gouvernemental, mais également se prononcer sur l’ampleur de ce soutien et sa forme (déductions fiscales, subventions ou fourniture directe de services).

La méthode la plus courante pour évaluer le niveau d’investissement gouvernemental dans l’innovation agricole est celle du benchmarking. En dépit de son utilisation extensive, le benchmarking est un outil assez médiocre car il n’a aucun fondement théorique. Il tend à renforcer le statu quo, même si celui-là n'est pas optimal. Par exemple, bon nombre d'économistes ont affirmé (en s’appuyant sur de nombreux éléments tirés de centaines d’études ex post sur les taux de rendement de la recherche agricole et les projets de vulgarisation) que l’innovation agricole souffre d’un grave manque d’investissements.

En quête de la réponse théorique, il est possible d’utiliser ce simple modèle économique pour déterminer le niveau d’investissement optimal dans l’innovation agricole. Il comporte trois étapes, à savoir :

  1. Calculer, à l’aide d’une technique d’analyse classique coût-avantage, pour toutes les propositions de projets d’innovation, le taux de rendement attendu. Pour une série de propositions de projets liés à l’innovation agricole, la distribution de ces taux prendra probablement la forme d’une courbe descendante – seules quelques propositions de projets possèdent un fort taux de rendement attendu tandis que beaucoup présentent un taux faible ou négatif.
  2. Sélectionner parmi les projets ciblant le même problème ou la même opportunité celui qui présente le plus fort taux de rendement attendu (c’est-à-dire éliminer toute redondance des efforts).
  3. Parmi les projets restants, financer tous ceux dont le taux de rendement attendu est supérieur au taux minimum (tel que fixé par le financeur public ou privé). Le budget optimal peut alors être calculé comme la somme des budgets de tous les projets dépassant le taux minimum.

Dans les faits, cependant, la sélection des projets d’innovation agricole se fait rarement en adoptant cette méthodologie strictement rationnelle et économique. Dans le secteur public (qu’il s’agisse de pays en développement ou de pays développés), le calcul d’un taux de rendement attendu pour chaque proposition de projet d’innovation agricole est une pratique plutôt inhabituelle[1]. Les propositions de projets sont au mieux évaluées et classées sur la base de critères multiples – dont la plupart témoignent toutefois d’une certaine forme de rationalité économique. Le classement des propositions de projets qui en découle n’est pas parfait, mais peut tout de même être accepté comme un rapprochement raisonnable du classement économique. Le problème majeur reste qu’un tel classement ne propose pas de ligne de démarcation claire. C’est en effet le budget disponible qui détermine le nombre de projets pouvant être financés et l’on ne sait pas si ce budget répond aux objectifs, ni s’il est en dessous ou au-dessus du niveau d’investissement optimal.

Un autre problème que l’on retrouve souvent consiste à s’écarter du classement afin d’obtenir un éventail politiquement acceptable de projets sélectionnés couvrant différentes matières premières, thèmes, zones géographiques et organismes d’exécution. Avec cette méthode, les propositions figurant en haut du classement sont abandonnées au profit de projets moins bien classés, ce qui réduit la rentabilité globale de la série de projets sélectionnés.

Différence entre optimum public et privé

Selon que l’évaluation d’une série de propositions de projets est menée dans une perspective publique ou privée, le résultat (en termes de projets sélectionnés et de dotation budgétaire optimale) sera différent. Deux facteurs sont à l’origine de cette différence :

  1. Le taux de rendement minimal utilisé par le secteur privé (de l’ordre de 15 à 20 %) est sensiblement plus élevé que le taux utilisé par l'État (environ 6 % dans les pays développés et 12 % dans les pays en développement). Cela peut s’expliquer par le fait que l’emprunt de fonds revient généralement plus cher au secteur privé. De plus, ce dernier ajoute une marge bénéficiaire conséquente en complément du taux d’intérêt.
  2. Dans le calcul du taux de rendement attendu d’un projet d’innovation, le flux d'avantages tel que déterminé par le secteur public comprend à la fois les avantages pour le producteur et le consommateur, tandis que le flux d'avantages tel que déterminé par le secteur privé (ou par un organisme agissant en son nom) ne prend en compte que les avantages pour le producteur. Les coûts des projets sont les mêmes dans les deux cas de figure. Par conséquent, le même projet d’innovation présente un taux de rendement attendu plus élevé lorsqu’il est évalué d’un point de vue macro-économique (celui du planificateur central) que s'il est évalué d’un point de vue micro-économique (celui de l’entreprise privée). De plus, le classement relatif des projets sera également affecté – les projets qui génèrent des avantages surtout pour le consommateur seront moins bien notés dans le classement privé. L’un dans l’autre, on peut s’attendre à ce que le niveau d’investissement privé optimal soit inférieur à celui du public. Cela constitue un argument de poids en faveur de subventions pour l’innovation privée dans une économie de marché. Du point de vue du secteur privé, de telles subventions réduisent les coûts des projets d’innovation et augmentent donc leur taux de rendement attendu. Ainsi, un nombre supérieur de propositions de projets dépassera le taux de rendement minimal privé, ce qui réduira l’écart entre les niveaux d’investissement optimaux du privé et du public.

L’offre de projets d’innovation

La sélection économique de propositions de projets d’innovation agricole telle que nous venons de la présenter ne s’applique qu’aux propositions qui sont soumises pour évaluation. À cet égard, l’optimum calculé est celui qui est fondé sur la capacité d’innovation humaine (en termes de chercheurs, de spécialistes de la vulgarisation, etc.) et physique existante. Les décisions concernant le développement de cette capacité ne peuvent être guidées par des projets individuels, mais relèvent du long terme et de la stratégie. Par exemple, pour qu’un pays puisse tirer parti de la biotechnologie dans l’agriculture, il doit réaliser un investissement de départ considérable dans les ressources humaines et l’infrastructure physique avant qu’un quelconque projet concret de biotechnologie ne voie le jour. De tels investissements exigent une capacité de prévision stratégique exceptionnelle pour comprendre quelle direction prendra le développement de la science et comment l’appliquer au profit du pays. Le montant des ressources qu’un pays peut se permettre d’investir dans sa capacité d’innovation (agricole) dépend en grande partie de son niveau de développement économique. Une aide financière provenant de donateurs peut contribuer dans une certaine mesure à limiter le problème.

Cependant, il existe en parallèle divers facteurs structurels (souvent liés au niveau de développement économique) qui influencent la rentabilité globale de l’innovation agricole et donc la taille de l’investissement optimal. Comprendre ces facteurs structurels peut aider à cerner et à mettre en œuvre des politiques susceptibles de les améliorer. Certains des facteurs structurels les plus importants sont notamment :

  1. Le niveau de connaissance technologique au sein du système d’innovation agricole. Les politiques capables d’améliorer ce facteur comprennent l’investissement dans la science fondamentale, l’éducation (tant au niveau académique que pratique) et l’accès au savoir (par exemple l’investissement dans l’infrastructure TIC).
  2. Le niveau de risque et d’incertitude. Pour réduire le risque et l’incertitude, les politiques doivent être axées sur : (a) une stabilité macroéconomique et politique globale ; (b) un souci de clarté et de cohérence concernant les droits de propriété intellectuelle, les normes en matière d’éthique, de produits et d’environnement ainsi que toute autre mesure réglementaire pertinente ; et (c) le développement de la capacité à anticiper les évolutions futures (études de veille technologique, scénarios, feuilles de route, etc.).
  3. De faibles économies d'échelle. Les politiques susceptibles d’avoir un impact positif sur ce facteur sont notamment : (a) le renforcement de l’action collective au sein du secteur agricole et des chaînes de valeur agricoles par le biais d’un soutien législatif et financier ; et (b) une collaboration supranationale.
  4. Une efficience et une efficacité faibles. Il conviendrait d’adopter des politiques visant à améliorer la gestion et l’organisation des acteurs clés (recherche agricole, vulgarisation, organisations d’agriculteurs, etc.) du système d’innovation agricole.
  5. Des comportements monopolistiques. Il manque aux monopoles d’État ou privés l’intérêt économique (c’est-à-dire la concurrence) les poussant à innover. Les politiques menant à l’ouverture des marchés d’intrants et d’extrants agricoles doivent doter le système d’une concurrence nécessaire pour que l’innovation décolle.
  6. Des institutions et des infrastructures rurales faibles. Le manque de crédits et de marchés ainsi que des coûts de transport élevés sont souvent pointés du doigt lorsqu’on parle d’innovation agricole dans les pays en développement. Les politiques qui tentent de remédier à ces problèmes contribuent à renforcer la rentabilité des activités d’innovation agricole. Il est important d’agir simultanément dans tous ces domaines afin de créer la plus grande synergie possible.

Le point commun de tous ces facteurs structurels est qu’ils tendent à être liés au niveau de développement économique. Plus l’économie est avancée, plus ces facteurs structurels sont favorables. En d’autres termes, le budget d’innovation agricole optimal n’est pas le même pour tous les pays (par exemple lorsqu’il est exprimé en pourcentage du PIB agricole), mais a tendance à croître avec le développement économique. Cela laisse à penser que se contenter d’investir de grosses sommes dans la capacité d’innovation agricole à un stade précoce du développement économique (en espérant que de nombreuses opportunités d’innovation rentables se présenteront) ne résoudra pas le problème. Il est indispensable que les facteurs structurels fassent également l’objet d’améliorations.

Conclusion

Dans cette partie, nous avons montré comment le niveau d’investissement optimal dans l’innovation agricole peut être calculé à l’aide d’un modèle relativement simple. Ce niveau optimal ne s’applique qu’aux activités d’innovation dont l’objectif principal est l’impact économique (ce qui concerne la grande majorité des investissements). La recherche fondamentale sort bien sûr du cadre de cette définition car son but premier est de faire progresser les connaissances fondamentales.

Pour utiliser ce modèle économique, il est nécessaire d’effectuer une analyse coût-avantage (et de la poursuivre avec un calcul du taux de rendement) pour chaque proposition de projet. Dans la réalité des faits, cette pratique n’est pas (encore) répandue dans le secteur public et notre relative ignorance persiste concernant le niveau d’investissement optimal dans l’innovation agricole.

Les méthodes de sélection utilisées à l’heure actuelle (par exemple, celle qui recourt aux critères multiples) sont loin d’être parfaites, mais devraient nous orienter vers une sélection des projets d’innovation les plus prometteurs.

[1] Les gens ont tendance à penser que le calcul du taux de rendement attendu d’un projet d’innovation agricole est difficile et coûteux. Dans une large mesure, cela est dû à un manque d’expérience et d’expertise vis-à-vis de ce type de calculs. Mais ceux-ci ont l’avantage d’imposer une quantification des variables pertinentes. Cela permet de révéler les hypothèses et les incertitudes sous-jacentes. Dans le secteur privé, le recours à l’analyse coût-avantage et la sélection de projets (d’innovation) sur la base du taux de rendement attendu sont une pratique beaucoup plus répandue.

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11/01/2012